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Opinion  •  3 min

Lettre ouverte : pourquoi défendre la tarification carbone devant les tribunaux

Published on 

Pourquoi défendre la tarification carbone devant les tribunaux

Par Annie Bérubé, Geneviève Paul et David Robitaille*

Depuis le 1 avril, la pollution par le carbone a un prix partout au Canada, y compris dans les provinces récalcitrantes qui refusaient de mettre un prix sur cette pollution (Ontario, Saskatchewan, Manitoba et Nouveau Brunswick).

Les premiers ministres de l’Ontario et de la Saskatchewan contestent en Cour l’application de cette tarification aux provinces, malgré le fait que le Manitoba a déjà commandé un avis légal indépendant en 2017 qui en a confirmé la constitutionnalité. Déterminé, le premier ministre de l’Ontario a même mis de côté 30 millions de dollars de fonds publics pour se battre contre cette mesure. Imaginez les mesures vertes qui pourraient être appuyées avec tout cet argent! Ils ont aussi l’appui du chef du Parti conservateur fédéral qui s’éreinte également à contredire les mérites de la tarification de la pollution carbone.

Équiterre et le Centre québécois du droit de l’environnement devant la Cour
d’appel de l’Ontario le 17 avril prochain

Pourquoi est-ce important pour ces deux organismes québécois d’aller en Ontario pour
défendre ce système? Pour deux raisons principalement :

1 - Une mesure de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans
l’intérêt national et dans l’intérêt du Québec

Le Québec est un pionnier de la tarification carbone. La province a mis en oeuvre un
système de plafonnement et d’échanges en 2013 qui a créé un marché du carbone,
maintenant lié à l’état de la Californie. Le Québec évite ainsi l’application d’un autre
système, soit un prix sur la pollution carbone déterminé par Ottawa.

Des mesures de tarification carbone insuffisantes de la part des provinces récalcitrantes peuvent avoir un impact réel et inéquitable sur celles, comme le Québec, qui prennent déjà des mesures sérieuses pour lutter contre les GES. Il est essentiel d’éviter des « fuites de carbone », qui surviennent lorsque des entreprises relocalisent leur production vers des juridictions qui n’appliquent pas de prix sur la pollution carbone. De plus, une tarification carbone plus uniforme au Canada protège la compétitivité des entreprises québécoises qui exportent leur production vers d’autres provinces. Une tarification carbone pancanadienne est donc favorable à l’efficacité du système québécois.

2 - Un exemple de fédéralisme coopératif respectueux des intérêts provinciaux
D’autre part, le fait que le fédéral ait établi un système de tarification souple, qui prévoit
l’imposition d’une tarification déterminée par le fédéral seulement en l’absence d’un
cadre réglementaire suffisant au niveau provincial, constitue un exemple de «
fédéralisme coopératif » respectueux des intérêts provinciaux. Les mesures fédérales
viennent ainsi compléter les mesures provinciales, et vice-versa, dans un véritable esprit
de coordination.

Essentiellement, le gouvernement fédéral applique dans ces provinces une redevance sur les carburants correspondant à 20 $ la tonne de carbone, ainsi qu’un système de tarification pour les grandes industries polluantes. Le fédéral retourne tous les revenus perçus sous forme de remboursements directs aux individus sur leur rapport d’impôt,
ainsi que par des investissements pour aider les municipalités, les petites et les moyennes entreprises à réduire leur pollution carbone.

Mais le prix imposé par le fédéral de 20 $ la tonne de carbone est très loin d’être suffisant pour récupérer le coût social de la pollution carbone, qui pourrait s’élever jusqu’à 167 $ la tonne au Canada, selon les scénarios d’impacts sévères des changements climatiques. Le coût social du carbone inclut les coûts engendrés par la pollution carbone comme les coûts de réparation des infrastructures, les dommages causés par les inondations et les feux de forêts, les pertes économiques dans certains secteurs, les coûts en santé publique, pour ne nommer que ceux-là.

Sans la tarification carbone, la totalité de ces coûts seront payés par la société, par chacun d’entre nous comme citoyens. Le coût de l’inaction est donc beaucoup plus élevé que celui d’une action immédiate.

La crise climatique ne doit pas servir la partisanerie
L’assise constitutionnelle du gouvernement fédéral est solide. L’Ontario et la
Saskatchewan le savent. Or, la crise climatique à laquelle nous faisons face ne doit pas
servir à la partisanerie. C’est pourquoi Équiterre et le CQDE seront à la Cour d’appel
ontarienne cette semaine.

Nous le constatons tous les jours : les impacts des changements climatiques n’ont pas de frontière. Les Québécoises et Québécois subissent déjà les conséquences de l’inaction des gouvernements, y compris celle de leurs voisins. Surtout, il ne faut pas s’en déresponsabiliser et refiler la facture à nos enfants et petits-enfants, qui auront déjà un prix très élevé à payer pour pouvoir continuer de vivre dans un contexte d’urgence climatique. 

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*Signataires :

Annie Bérubé, directrice des relations gouvernementales, Équiterre
Geneviève Paul, directrice générale du Centre québécois du droit de l’environnement
(CQDE)
Professeur David Robitaille, constitutionnaliste, avocat-conseil pour le CQDE et
Équiterre dans le dossier de la tarification carbone