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Opinion  •  3 min

La vallée des somnambules

Marc-André Viau

Directeur, Relations gouvernementales

Le tableau frappait l’imaginaire : le chef du gouvernement posant, guilleret, en conférence de presse à côté d’un gigantesque Hummer tout électrique. Sur la présentation PowerPoint, en arrière-plan, on peut lire « en route vers la transition énergétique ».

Il y a quelques jours, le premier ministre François Legault nous annonçait en grande pompe sa «vallée de la transition énergétique». Il affirmait que c’est dans le Centre-du-Québec que nous construirons l’économie de demain : cette économie qui alimentera les nouveaux emplois d’un secteur techno-vert attendu et espéré pour décarboner nos modes de vie et lutter contre cette crise climatique qui matraque le Québec d’événements météorologiques extrêmes depuis quelques semaines.

Mais cette carte postale économique ne s’harmonise pas très bien avec le territoire sur lequel elle tente de s’imposer
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Cette dissonance est largement due à l’absence de vision d’avenir du gouvernement tant pour le développement économique et social, qu’en matière d’aménagement et d’urbanisme. Car l’électrification n’est qu’un outil parmi d’autres afin d’opérer la transition écologique et non une fin en soi : une analyse que ce gouvernement ne partage visiblement pas.

C’est pourquoi il présente son projet comme un moteur de la transition énergétique, mais quand on regarde ce à quoi celle-ci sert, on peut se demander si ce n’est pas simplement une stratégie d’attraction de capitaux pour ne pas passer à côté d’une manne d’investissements très tendance, celle de la production de batteries et l’extraction de minéraux critiques, et ce, peu importe ce qu’on en fait.

Pas tous sur un podium

Dans ce puzzle d'électrification, il manque des morceaux. Quoi électrifier? Pourquoi? Et comment le faire? Ce sont des questions qui ne sont pas abordées parce que nous ne faisons que transposer et projeter les habitudes actuelles dans un monde tout électrique.

C’est ainsi que lors de la conférence de presse du gouvernement, le Hummer, camion militaire domestiqué à la sauce urbaine, demeurait plus grand que le premier ministre debout sur son podium. Les enfants se rendant à l’école, les aînés, les cyclistes et les personnes à mobilité réduite n’auront pas tous la chance de se trouver sur un podium lorsqu’ils croiseront ce camion surdimensionné sur nos routes fièrement propulsé aux minéraux de chez nous. Ils éviteront peut-être le pire en écoutant les bienveillantes consignes de la Sûreté du Québec, bien qu’il soit difficile d’établir un contact visuel avec le conducteur qui ne voit pas devant lui.

Ce camion est une aberration dans l’offre de mobilité qu’on nous vend pour sa capacité à traverser des rivières et gravir des montagnes, mais qui passera le plus clair de son temps stationné ou dans une congestion qu’il exacerbe par sa taille et pour lequel il faut absolument construire plus de routes et d’autoroutes. Sans oublier de boucher les vilains nids de poule pour ne pas abîmer ses grosses roues si fragiles.

Par ailleurs, les batteries qui alimenteront ces véhicules prendront forme en partie sur des terres agricoles dézonées pour accommoder l’espace nécessaire à la production. Ainsi, on n’hésite pas à se priver des capacités de nos terres nourricières pour prioriser l’alimentation des camions avant l’alimentation des Québécois et des Québécoises. Drôle de choix.

Le gouvernement aurait bien pu opter pour un autre modèle « plus petit » pour son annonce, mais les autres batteries produites pour ce projet le seront pour le Chevrolet Silverado et le Cadillac Lyriq, un pick-up surdimensionné et un gros VUS luxueux à plus de 75 000 $.

Nous jouons ainsi le jeu des constructeurs automobiles, qui retirent les petites automobiles pour les remplacer par de gros véhicules parce qu’ils rapportent plus de profits. Le confort et les gadgets technologiques priment sur la mobilité, la sécurité, l’aménagement du territoire et notre autonomie alimentaire. Bref, le véhicule prend le dessus sur le milieu de vie dans lequel il doit s'insérer.

Sur le bureau du ministre

Des consultations lancées par le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, se sont amorcées récemment. D’abord par une journée de travail avec les experts et ensuite avec l’ouverture d’une consultation publique numérique. Le questionnaire destiné au grand public plonge davantage dans les enjeux de consommation énergétique que ce que nous avions anticipé et c’est tant mieux. Or, le gouvernement reste dans une logique très technique qui cherche à comprendre quels secteurs devraient être priorisés pour l’électrification, comment bonifier la puissance, quelle sera la mécanique de la tarification qui sera associée, et quel est le rôle d’Hydro-Québec et de la Régie de l’énergie dans tout ça.

Au-delà de la mécanique de la production et de la distribution d’électricité pour répondre aux besoins des consommateurs résidentiels et industriels, au-delà de l’atteinte de cibles de réduction de GES, que construisons-nous comme société à l’aide de notre énergie renouvelable?

Les besoins énergétiques du Québec ne devraient pas se définir uniquement par le nombre de projets industriels qui s’empilent sur le bureau du ministre Fitzgibbon, mais d’abord et avant tout par une réflexion sur l’aménagement de notre territoire et de l’offre de mobilité et d’habitation. À quoi bon définir de nouvelles orientations gouvernementales en aménagement si les dés sont pipés?

Notre vision actuelle de la transition énergétique est celle du conducteur derrière le volant de son Hummer qui, confortablement assis, voit tout ce qui se passe à l’horizon, mais rien de ce qui se déroule juste devant lui. C’est comme ça qu’on avance comme des somnambules dans la vallée des Hummers dont on émergera, seulement à minuit, pour partir notre lave-vaisselle.

Ce texte est paru dans les médias des Coops de l'information