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Opinion  •  3 min

Quel genre d’autonomie alimentaire voulons-nous?

Colleen Thorpe

Directrice générale

Publié le 

La politique bioalimentaire du Québec, mise en place en 2018, est à la croisée des chemins. Méconnue du grand public, cette politique oriente pourtant tout le secteur bioalimentaire, de ce qu’on produit dans nos champs à ce qu’on mange dans nos assiettes. Elle est ainsi appelée à concrétiser des changements de fond dans nos façons de produire, de transformer et de consommer.

Les enjeux socio-économiques et écologiques qui pointent ne laissent pas de place à l’interprétation : le Québec doit enclencher une grande transition du secteur bioalimentaire afin de le faire migrer vers une offre alimentaire plus saine, plus locale et plus durable. Nous devons adopter des mesures structurantes et ambitieuses pour préparer l’avenir maintenant. Pour cela, la politique bioalimentaire est le cadre tout indiqué. Son renouvellement, prévu pour 2025, est l’occasion idéale pour impulser de nouvelles manières de faire.

Les crises des dernières années, notamment celle de la COVID-19, nous auront appris au moins une chose : les chaînes d’approvisionnement du secteur manufacturier, largement mondialisées, sont particulièrement vulnérables aux chocs socio-économiques. Le secteur bioalimentaire ne fait pas exception. Prenant acte de cela, le gouvernement du Québec a inséré l’autonomie alimentaire au coeur de sa politique bioalimentaire. Cette réponse est un pas dans la bonne direction.

Cependant, force est de constater que l’autonomie alimentaire demeure à ce jour une notion imprécise et fragmentaire. Composée de quelques propositions phares, la politique voit son potentiel contrecarré par un manque de mesures structurantes pour soutenir la transition du secteur bioalimentaire. Nous devons nourrir notre monde d’abord, et le faire de manière intelligente. De nombreux investissements récents faits au nom de l’autonomie alimentaire soutiennent la production d’aliments ultratransformés, et ce type d’incohérence a le mérite de nous inciter à mieux définir le contenu d’une autonomie alimentaire en phase avec les défis des décennies à venir. Trois orientations claires doivent baliser ce contenu.

Transition écologique

La première orientation est celle de la transition écologique. Alors que le Québec amorce une décarbonation de son économie, le rôle d’une politique bioalimentaire digne du XXIe siècle est de contribuer à cette transition. En remplaçant l’importation d’aliments, notamment les grains et légumineuses, par une production locale diversifiée et basée sur des pratiques agricoles durables, le Québec fait d’une pierre plusieurs coups.

La diminution des kilomètres parcourus réduit les émissions de GES, alors qu’une plus grande diversité de cultures sur nos terres améliore la santé des sols, qui agissent alors comme puits de carbone et luttent contre le réchauffement climatique. Sans compter qu’en soutenant le développement de cultures végétales émergentes, telles que celles du sarrasin ou du haricot sec, et en encourageant les repas à base de plantes, nous contribuons encore davantage à réduire les GES émis par le système alimentaire.

Offre saine et nutritive

Deuxième orientation : les préoccupations croissantes concernant la qualité et le caractère nutritif des aliments doivent faire partie de la notion d’autonomie alimentaire. L’État québécois doit être exemplaire et soutenir le développement d’une offre alimentaire saine et nutritive sur tout son territoire. Les effets des choix alimentaires sur la santé publique sont bien documentés, et la politique bioalimentaire doit se traduire par des mesures cohérentes.

Ainsi, plutôt que de servir de point d’appui pour financer le développement de filières d’aliments ultratransformés, l’autonomie alimentaire devrait au contraire mener à l’essor et à la consolidation de filières de produits nutritifs. Plusieurs d’entre elles attendent que des conditions favorables soient réunies pour prendre davantage de place dans notre économie et notre alimentation.

Un système local

Finalement, une troisième orientation s’impose : il faut viser l’accroissement de la production et de la transformation bioalimentaire locales. Les potentiels socio-économiques associés au développement de filières de produits bioalimentaires sur tout le territoire québécois sont gigantesques. Nous avons aujourd’hui les ressources et les talents nécessaires pour déployer encore plus et mieux, dans toutes les régions du Québec, un système bioalimentaire ancré dans le territoire.

Un système qui sera plus résilient en diminuant sa dépendance aux importations. La notion d’autonomie alimentaire devrait se comprendre à la manière du principe de poupée russe, c’est-à-dire en se déclinant selon des échelles territoriales complémentaires et inclusives, allant du local au provincial. Nous avons ce qu’il faut pour cela.

C’est au confluent de ces trois orientations que se trouve le coeur d’une politique bioalimentaire ambitieuse et cohérente. L’autonomie alimentaire est une fabuleuse occasion de renouveler notre système bioalimentaire, en lui donnant les moyens d’être à la hauteur de la grande transition qui s’amorce. Ne manque maintenant que la volonté de s’y mettre.

Ce texte a d'abord été publié dans Le Devoir

*Ont aussi signé ce texte :

Thomas Bastien, directeur général de l’Association de santé publique du Québec

Malek Batal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les inégalités en nutrition et santé

Corinne Voyer, directrice de la Coalition québécoise sur la problématique du poids

François L’Italien, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine

Marcel Groleau, président de la coalition Nourrir l’humanité durablement

Émilie Viau-Drouin, directrice générale de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique

Jean-Nick Trudel, directeur général de l’Association des marchés publics du Québec

Jérôme Dupras, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique


Cette version du texte diffère légèrement de celle diffusée dans Le Devoir.