Élisabeth Labelle
Chargée de communications, Création de contenu et relations médias
media@equiterre.org (514) 605-2000Publié le
En mars dernier, Équiterre a lancé un rapport sur la publicité et la surconsommation qui a suscité de vives réactions de la part de certains acteurs du milieu qui ont cherché à minimiser le rôle de l’industrie dans l’équation. Pourtant, au sein même des agences, encourager les gens à consommer toujours plus est un modèle qui semble être remis en question.
Je me suis entretenue avec plus d’une dizaine de personnes qui ont quitté le milieu publicitaire pour cette raison. Après toutes ces discussions, il m’apparaît encore plus clair que la publicité doit être mieux encadrée pour le bien de l’environnement, mais aussi pour le bien des employé(e)s en agence.
Note éditoriale : les prénoms suivis d’un astérisque (*) sont fictifs parce que ces personnes ont requis l’anonymat. Leur témoignage, lui, est bien réel.
Le coût humain et écologique de la publicité
Quand la création publicitaire n’a plus de sens
Au sein des agences publicitaires, les équipes n’ont pas toujours le sentiment de contribuer de manière tangible et positive à la société. Créer dans le seul but de vendre, ce n’est pas une source de motivation très engageante, disons-le.
«À quoi ça sert que je me rende malade pour faire acheter des bébelles à des gens qui n’en ont même pas besoin, pour que 3 ou 4 personnes au top de cette compagnie-là s’en mettent plus dans les poches?», a fini par se demander Catherine, qui a travaillé 10 ans en création publicitaire avant de se réorienter en psychologie.
«Il y a des projets qui me semblaient tellement creux, sans réel impact. J’arrivais chez moi le soir et je me demandais à quoi j’avais contribué», me confie Véronique*, qui a évolué plus de 5 ans en service-conseil avant de quitter le milieu.
Au manque de sens s'ajoutent des conditions de travail qui suivent une logique extractiviste : on pompe l’énergie et la créativité des équipes sans égard à leur capacité de les renouveler. «Devoir toujours faire plus, mieux, plus rapidement. C’est souvent au détriment de soi», m'explique Sophie*, qui a été directrice artistique en agence pendant 15 ans.
L’industrie publicitaire encourage la surconsommation
Si l’industrie publicitaire a la réputation d’épuiser ses membres, elle contribue aussi à épuiser les ressources planétaires. En cherchant à générer des résultats pour ses clients, elle encourage la population à consommer toujours plus, ce qui contribue à aggraver la crise climatique.
Rappelons qu’au Québec, pour l’année 2023, les émissions de GES liées aux biens et services achetés en raison de la publicité s'élevaient à 10,3 millions de tonnes d’éq. CO2, ce qui correspond aux GES émis par le tiers de toutes les voitures de la province.1
Pour mieux comprendre l’influence de la publicité sur la surconsommation
Consultez notre nouveau rapport«Je me suis toujours protégé. Dans ma tête, je trouvais que c’était inoffensif ce qu’on faisait», m’avoue Mathieu Bouillon, qui cumule près de 20 ans d’expérience en tant que concepteur-rédacteur. Aujourd’hui, il a délaissé le monde de la publicité pour se consacrer pleinement à son nouveau métier d’humoriste. Il a d’ailleurs créé un spectacle satirique intitulé De la publicité qui s’inspire de son expérience en agence.
«En même temps, force est d’admettre que ça doit avoir un impact parce que les annonceurs n’investiraient pas autant d’argent si ça ne servait à rien», reconnaît-il. On parle effectivement d’investissements de 21 milliards de dollars au Canada en 2023 – l’équivalent du budget total en éducation au Québec – en hausse de 33% depuis 2018.
«Le modèle d’affaires des agences est très dépendant de l’offre et de la demande, des tendances de consommation et du capitalisme», observe Marie-Christine Gagnon, qui a créé des comités de développement durable dans les deux grandes agences montréalaises où elle a travaillé. Elle est aujourd’hui stratège d’impact dans une firme de design stratégique.
Selon elle, ce modèle sert à répondre aux besoins des clients avant tout, même avant l’urgence climatique. «Je n’ai pas senti que les agences étaient prêtes à remettre en question les objectifs de leurs clients. Ils les servent au meilleur de leurs capacités, peu importe leur mission».
Des solutions pour responsabiliser les agences de publicité
Mobiliser les talents
Pour faire face à la menace existentielle que posent les changements climatiques, on doit repenser nos modes de consommation. La bonne nouvelle, c’est que les ressources et les talents de l’industrie publicitaire peuvent être mis à contribution. «On gagne tous(-tes) à être plus responsables dans notre façon de consommer et la publicité doit jouer un rôle là-dedans», pense Sophie*.
La créativité qui permet aux agences de remporter des prix doit être utilisée pour présenter d’autres façons de consommer qui sont plus durables, que ce soit d’acheter usagé, d’acheter moins, de louer des objets ou encore de les emprunter.
«Il y a de plus en plus de gens dans le milieu qui veulent faire les choses autrement, qui cherchent à donner un sens plus grand à leur travail, à utiliser la publicité comme levier de changement», note Christophe, qui étudie maintenant en relation d’aide après avoir été concepteur-rédacteur en agence. Marie-Christine me fait d’ailleurs remarquer que les projets pro bono pour des causes sont souvent les projets «bonbon» sur lesquels tout le monde veut travailler à l’interne.
Mieux encadrer les messages publicitaires
Un constat assez unanime se dégage des entretiens que j’ai réalisés : il est peu probable que le milieu des agences puisse se réformer de lui-même, sans que ce ne soit imposé. «Il va falloir un plus gros changement qu’une simple prise de conscience des personnes en bas de l’échelle», me dit Catherine.
Alors, qu’est-ce qu’on fait? «Premièrement, il faut mieux encadrer la publicité», me répond Véronique*, qui sans le savoir est tout à fait alignée avec la démarche d’Équiterre. Réglementer les messages publicitaires incitant à surconsommer aurait l’avantage de s’appliquer à l’ensemble des agences, au lieu d’espérer une adhésion volontaire de chacun des joueurs de l’industrie.
Par exemple, on pourrait rendre certaines informations obligatoires, comme l’empreinte environnementale d’un bien, et interdire certains messages, comme ceux incitant à remplacer un bien toujours fonctionnel. Notre rapport sur la publicité et la surconsommation contient plusieurs autres recommandations desquelles s’inspirer.
Un modèle anachronique à transformer
En raison de son poids économique considérable et de son pouvoir d’influence énorme dans les choix de consommation, l’industrie publicitaire se doit de contribuer à la transition écologique.
«Je pense que les agences sous-estiment grandement le rôle d’influence qu’elles ont », avance Marie-Christine. Véronique* est du même avis : la publicité est un moteur puissant qui a le pouvoir d’influencer les comportements et les mentalités. «On se doit de l’utiliser pour éduquer, sensibiliser et promouvoir une consommation responsable.»
Alors que l’urgence écologique se fait de plus en plus sentir, la promotion de la surconsommation est problématique. «L’industrie reste encore très axée sur la performance, la vitesse et la croissance alors que ce dont on aurait besoin, collectivement, c’est de ralentir, de prendre du recul, de revoir nos façons de faire», me dit Christophe.
«Il y a encore beaucoup de chemin à faire, mais je crois qu’une transformation est possible si on est prêt à remettre en question les bases — et à écouter ce qui a vraiment besoin d’être entendu».
1. Masse critique. «Rapport 2024 Les Émissions de l’Influence publicitaire au Québec», 2024.