Avez-vous entendu parler des projets « d’intérêt national » auxquels le gouvernement fédéral veut donner un traitement de faveur ?
Ce traitement de faveur prend la forme d’un projet de loi (C-5) qui donne au gouvernement fédéral le pouvoir d’accélérer l’évaluation des impacts de mégaprojets choisis et d’ignorer des lois et de la réglementation comme des normes environnementales.
Pour des organisations soucieuses d’offrir un avenir sain et sécuritaire pour nos communautés, cela donne froid dans le dos.
Les projets évoqués visent essentiellement le développement d’un vague concept de corridors économiques et commerciaux, le transport de marchandises, l’exploitation de ressources naturelles et la production énergétique. Quant à la notion d’intérêt national, elle demeure d’ailleurs extrêmement vague dans le projet de loi qui y fait référence comme étant l’expression de l’intérêt économique du Canada, de sa souveraineté et de sa sécurité.
La décision de désigner un projet d’intérêt national se fera par le Cabinet à l’aide de cinq facteurs ou de tout autre facteur qui serait jugé pertinent, dont il peut, ou non, tenir compte dans son analyse.
La décision est donc très subjective et fondée sur un pouvoir discrétionnaire extrêmement et indûment large qu’il sera difficile pour les tribunaux de contrôler : la décision sera donc, au final, très politique.
Il n’y a aucune référence aux gens et aux collectivités qui seraient touchés ni à une « autre » urgence : celle d’opérer la transition.
Bâillonner dans l’intérêt national
Le gouvernement souhaite adopter la Loi visant à bâtir le Canada en toute urgence, à l’aide d’un super bâillon. Cela pour des investissements potentiels publics et privés de plusieurs milliards dans des projets qui peuvent présenter des risques élevés et dont les conséquences se feront ressentir pour les années, voire les décennies à venir.
Les témoins devront être entendus de manière expéditive et les amendements seront votés à la hâte sans qu’on prenne le temps de réfléchir à leur pertinence.
Il va sans dire que ce type d’approche nuit au débat démocratique et alimente le cynisme.
Et les compétences provinciales, dans tout ça ?
Face à cette concentration inédite du pouvoir, qui rendrait jaloux le Seigneur des anneaux, et face à une menace potentielle pour les compétences provinciales, la réaction initiale du premier ministre du Québec a été d’accueillir la proposition à bras ouverts. Ce changement de posture est troublant.
Rappelons que le gouvernement du Québec avait appuyé la Saskatchewan, l’Alberta et l’Ontario en Cour suprême contre le gouvernement fédéral sur la tarification carbone sous prétexte qu’elle empiétait sur leurs champs de compétences.
La position de Québec contraste d’ailleurs fortement avec celle de l’Assemblée des Premières Nations, qui dénonce le caractère expéditif du processus législatif et met en garde contre l’adoption d’une loi qui peut mener à la violation des droits des peuples autochtones.
Oui, le premier ministre a un mandat pour agir vite et protéger les intérêts des Canadiennes et Canadiens. Mais il n’a pas le mandat de contourner les processus démocratiques et les normes applicables pour ce faire.
La souveraineté, l’identité et le modèle canadien étaient au cœur des préoccupations électorales. Il faut miser sur ce qui nous distingue en maintenant une saine culture politique qui valorise le respect de l’État de droit et non en utilisant quelques-unes des méthodes privilégiées par nos voisins du Sud que sont la concentration des pouvoirs, la déréglementation et l’affaiblissement des institutions.
Peut-être le premier ministre Carney devrait-il prendre un pas de recul pour se rappeler, comme il l’écrivait lui-même, qu’il est préférable de fonder la société non pas sur des valeurs marchandes, mais sur des valeurs humaines, et que la démocratie en est le socle.