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Opinion  •  5 min

Comment les investisseurs responsables aident-ils à réduire l'inégalité du revenu sans y laisser leur chemise en cours de route?

Publié le 

par :  Brenda Plant Blog - Brenda Plant

Saviez-vous qu'un des 100 principaux chefs de direction gagne en moyenne, en seulement quatre heures, l'équivalent du salaire annuel moyen d'un Canadien, soit environ 46 000 $ (1) ?

L'inégalité sociale et particulièrement l'écart entre les revenus sont des sujets qui me préoccupent profondément. Sur le plan des investissements, je suis déchirée entre deux principes. En effet, même si je souhaite obtenir un rendement du capital que j'ai investi, je ne suis pas prête à y arriver à tout prix.

Ma préoccupation relativement à cette question découle d'une gêne fondamentale que je ressens envers toute injustice. Comme bien d'autres, je reconnais aussi que l'écart entre les revenus n'est favorable ni aux affaires ni à l'ensemble des systèmes financiers. Dans le domaine des finances, il s'agit d'un risque systémique qui implique l'effondrement possible d'un système financier en entier ou de l'ensemble du marché. Le Forum économique mondial a en effet reconnu l'écart entre les revenus comme étant le quatrième plus important risque systémique dans son Rapport sur les risques à l'échelle mondiale en 2014, le deuxième plus grand risque étant le problème connexe du chômage et du sous-emploi dont la structure même les rend plus élevés.

L'investissement responsable propose diverses façons de réduire l'écart entre les revenus et les répercussions sociales qu'il engendre. Les investisseurs responsables peuvent tenter d'aborder l'écart entre les revenus de deux façons, soit grâce au microfinancement local et international (microprêts aux moins nantis) que j'aborderai dans un autre article de blogue et à l'engagement des actionnaires dont je vais vous entretenir aujourd'hui.

L'engagement des actionnaires est en fait une stratégie d'investissement responsable selon laquelle les investisseurs utilisent leur influence et leurs droits à titre d'actionnaires pour amorcer le dialogue avec les entreprises, soumettre des résolutions et exercer leur droit de vote pour améliorer la gouvernance ainsi que le comportement social et environnemental des entreprises dont ils détiennent des actions. Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez visiter la section engagement des actionnaires du site Ethiquette.

Certains fonds et certains groupes revendiquant les droits d'actionnaires responsables utilisent leur influence en tant qu'actionnaires pour discuter avec les entreprises et leur demander de divulguer leurs rapports de rémunération, c'est à dire le rapport entre le salaire de leur chef de direction et la rémunération médiane de leurs employés. De façon générale, les sociétés cotées en bourse ne recueillent ni ne mesurent ce type de données. La divulgation des rapports de rémunération constitue une première étape et permettra aux investisseurs d'évaluer le caractère raisonnable de la rémunération des cadres supérieurs en y ajoutant du contexte. Actuellement le seul élément de contexte offert est une comparaison avec d'autres chefs de la direction au sein de l'industrie.

Aux États-Unis, la divulgation de rapports de rémunération dans le matériel de vote des actionnaires d'entreprises de restauration rapide a révélé que le salaire du chef de la direction était 1000 fois plus élevé que celui des employés en 2013. Ce rapport était en fait moins élevé que celui de 2012 où le salaire du chef de la direction équivalait à 1200 fois le salaire moyen d'un travailleur dans le secteur de la restauration rapide (2). Un investisseur responsable percevra cet énorme écart comme un risque à long terme plutôt qu'une occasion de réaliser des gains importants à court terme, et encouragera l'entreprise à explorer les risques posés par un tel écart.

La Suisse a tenté d'établir un seuil de salaire maximum pour les cadres supérieurs dans les entreprises. Le pays a en effet tenu un référendum en 2013 en vue de plafonner le salaire des cadres supérieurs à un niveau équivalant à 12 fois le salaire le plus bas de l'entreprise, mais cette mesure a été rejetée.

Encore peu nombreux et n'exerçant qu'une faible influence, les investisseurs responsables au Canada n'ont pas encore beaucoup avancé sur le plan de l'écart entre les revenus. La question de la mesure du rapport de rémunération entre le chef de la direction et les caissiers a fait l'objet de discussions dans les cinq plus grandes banques au Canada. Des propositions des actionnaires afin de divulguer des renseignements sur cet écart ont été déposées auprès des banques en 2012, en 2013 et en 2014. Toutes les banques se sont vues demander de divulguer ces renseignements, reconnaissant la nature systémique du risque et étant poussées à relever le défi concurrentiel incitant les entreprises à agir si leurs pairs ne le font pas. Les propositions ont été retirées quand chaque banque a convenu de se pencher sur les questions soulevées. Les investisseurs responsables surveilleront les démarches des banques relativement à ces questions et prendront d'autres mesures si celles qu'ils proposent sont jugées inadéquates.

La divulgation des rapports de rémunération fait son apparition au moment même où les actionnaires peuvent finalement s'exprimer sur la rémunération des cadres supérieurs des entreprises dont ils détiennent des actions. Au cours des dernières années, 80 % des sociétés faisant partie de l'indice TSX-60 (60 grandes entreprises cotées à la Bourse de Toronto) ont adopté des politiques fondées sur la pratique de vote sur la rémunération des dirigeants « say on pay », une expression utilisée en droit d'entreprise pour signifier que les actionnaires d'une entreprise ont le droit de voter sur la rémunération des membres de la haute direction. Dans l'ensemble, au moins 127 entreprises canadiennes, la plupart étant de grande envergure, ont adopté des politiques fondées sur la pratique de vote sur la rémunération des dirigeants « say on pay » et 120 ont tenu des votes fondés sur cette même pratique en 2013 (3). Bien que ces votes soient volontaires et généralement à caractère non obligatoire et n'impliquent pas une comparaison de la rémunération d'un chef de la direction avec le salaire moyen des employés (ce qui devrait être bientôt exigé par la loi aux États-Unis et au Royaume-Uni (4) ), ils représentent un pas important dans la bonne direction. Le problème demeure que la plupart des investisseurs ne sont pas encore des investisseurs responsables et se contentent d'approuver les propositions de la direction des entreprises qui les invitent à accepter la rémunération que ces dernières recommandent pour leur chef de la direction (5).

Bien qu'il s'agisse d'un long processus, les investisseurs responsables peuvent effectivement exercer une certaine influence sur l'écart entre les revenus et se doivent de le faire non seulement parce qu'ils en ont l'obligation morale, mais également parce que c'est là une décision sensée sur le plan financier à long terme. Les changements favorables se produiraient en mode accéléré si un plus grand nombre d'investisseurs se montraient responsables.

Pour en savoir davantage sur la façon d’investir dans un monde où nous souhaitons vivre, visitez le site http://www.ethiquette.ca/agir/, suivez notre page facebook et twitter.

Notes :
(1) www.canadianbusiness.com/blogs-and-comment/ceo-salaries-and-justice-chri...
(2) www.demos.org/publication/fast-food-failure-how-ceo-worker-pay-disparity...
(3) www.mercer.ca/content/dam/mercer/attachments/north-america/canada/Perspe...
(4) Les entreprises aux États-Unis pourraient bientôt être tenues par la Commission des valeurs mobilières (SEC) de publier le salaire de leur chef de la direction, la rémunération médiane de leurs employés et le rapport entre les deux. La Commission européenne propose l'adoption de règlements exigeant que certaines sociétés cotées en bourse divulguent aussi les rapports entre le salaire de leur chef de la direction et celui de leurs employés.
(5) http://www.socialfunds.com/news/article.cgi/article4047.html