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Parmi les nombreuses inventions humaines destinées à nous déplacer, le pédalo trône quelque part tout au bas de l’échelle, à côté du chariot d’épicerie avec une roue coincée. Et pourtant, dans ce monde où tout va trop vite, où chaque minute doit être optimisée, mon cœur penche doucement et résolument vers lui. Symbole méprisé, il pourrait bien être l’engin le plus subversif de notre époque.
D’abord, le pédalo ne va nulle part. Pas vraiment en tout cas.
Le pédalo nous propose un luxe presque indécent : tourner en rond. Se rendre à la roche au milieu du lac, revenir sur ses pas, s’éloigner du quai sans trop perdre le fil du rivage. Whatever. La balade est l’objectif. La destination est accessoire, voire inexistante.
Ensuite, il y a la coopération. On ne pédale pas seul, ou rarement.
Le pédalo invite à l’effort partagé, au rythme commun. Deux corps qui doivent se synchroniser, non pas pour battre un record olympique, mais pour juste avancer un peu. C’est une école de patience et un exercice de communication non-violente (pas toujours réussi).
Mais surtout, le pédalo n’a jamais comme objectif la performance.
Aucune application ne mesure vos distances parcourues, personne ne met sa ride de pédalo sur Strava. Il ne promet ni gain de temps, ni gain de muscle. Il n’est ni sexy, ni innovant. Il n’a pas changé depuis sa création. Il est là, plein d’eau de pluie qui sent bizarre, son plastique de couleur délavé par le soleil de midi, dérisoire, presque humiliant. Et c’est précisément pour ça qu’il est révolutionnaire.
Car dans la culture populaire, le pédalo fait souvent office de blague. Il est l’engin des amoureux un peu niais... des touristes qui ont peur de faire du kayak. Il ne donne pas lieu à des récits épiques, mais à des comédies un peu poches dans les théâtres d’été. Personne n’a jamais traversé l’Atlantique en pédalo et si quelqu’un a essayé, il est probablement décédé.
Enfin, le pédalo va lentement. Il permet d’observer et d’écouter. Il n’est pas bruyant. Il ne crée aucune vague. Il nous rappelle ce que le mouvement pouvait être avant la vitesse : une forme de présence.
Alors oui, le pédalo est risible. Oui, il est inefficace. Mais si on cherche un symbole du ralentissement que plusieurs d’entre nous réclament ou attendent dans ce bas monde, alors j’ai choisi mon destrier. Son seul vrai défaut est d’être fait en plastique.
L’avenir ne sera peut-être pas motorisé. Il sera peut-être à pédales. Ou mieux : à pédalo.
Qui embarque?