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Opinion  •  4 min

L'économie fantasmée

Publié le 

par :  Hugo Séguin chroniqueur invité Blog - Hugo Seguin

Le pétrole d’Anticosti fait rêver. À entendre politiciens, leaders d’affaires et chroniqueurs, le salut économique du Québec en dépendrait. On ne sait pas combien il y en a, ni s’il serait économiquement rentable de l’exploiter, mais ce n’est pas grave : quand on rêve, la réalité exerce une moins grande emprise sur nous.

« Avec 45 milliards de dollars de retombées potentielles », nous dit la première ministre Marois, « il serait complètement irresponsable » de lever le nez sur le pétrole québécois, ajoute-t-on pour lui faire écho. Avec le pétrole d’Anticosti, le poids de la dette, le « mur fiscal », « le choc démographique » pourraient être conjurés, nos angoisses économiques apaisées. L’équité intergénérationnelle, la survie des programmes sociaux, le rééquilibre de notre balance commerciale s’appréhendent tout à coup sous un angle bien différent.

Pendant que certains fantasment sur le potentiel de l’Île au Trésor, l’économie réelle, celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui, souffre de faiblesses importantes sur lesquelles il convient de se pencher avec urgence. C’est sur cette économie réelle que devrait porter notre attention et nos interventions.

Posons deux constats : personne n’a encore réussi à démontrer la présence de pétrole économiquement exploitable sur Anticosti. À l’heure actuelle, on ne discute ici que de « ressources pétrolières non découvertes » (Undiscovered Resources). Les vérificateurs externes de Pétrolia (Sproule, de Calgary) font état de la présence potentielle de 31 milliards de barils sur Anticosti, tout en s’empressant d’indiquer « qu’il n’existe aucune certitude que ces ressources seront découvertes, […] ni qu’il sera commercialement viable d’exploiter une quelconque portion de celles-ci ».

Pour aider le commun des mortels à s’y retrouver, la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta avait un jour suggéré une analogie avec la pêche sportive : « Il y a de l’eau dans le lac. Quelqu’un vous a dit qu’il y avait du poisson dans le lac. Votre chaloupe est sur la remorque et vous êtes prêts à la mettre à l’eau. Mais vous pourriez tout aussi bien décider d’aller jouer au golf à la place ».

Autrement dit, vous nagez dans l’incertitude et vous pourriez très bien perdre votre temps et votre argent. Parce que l’exploration pétrolière est une aventure risquée et très coûteuse. D’ailleurs, incapables de lever les fonds nécessaires dans le secteur privé, Pétrolia et Junex se sont tournés vers le gouvernement du Québec, sous l’œil attendri des milieux d’affaires et des détracteurs de l’interventionnisme de l’État.

Le deuxième constat est le suivant : advenant la découverte de quantités appréciables de pétrole, exploitables commercialement, il s’écoulera une bonne décennie avant que l’on commence à engranger des bénéfices sous la forme de dividendes, de redevances et de rentrées fiscales, dont l’ampleur est impossible à chiffrer à l’avance.

Pendant ce temps, l’économie du Québec continue d’être secouée par l’évolution de l’environnement économique mondial. Ce sont nos entreprises et leurs travailleurs qui sont au front, dans la vie réelle.

Les inquiétudes de Jacques Parizeau

« C’est la première fois depuis 30 ans que je suis inquiet quant à l’avenir économique du Québec », a déclaré Jacques Parizeau au début du mois. Commentant de récentes études de la Chaire en fiscalité de l’Université de Sherbrooke et de HEC Montréal, il note l’érosion de la productivité de nos entreprises, la chute des investissements privés et le recul de nos exportations. Il aurait pu ajouter que, de 2000 à 2010, le secteur manufacturier québécois a fondu de 30 %, passant de 23,6 % à 16,3 % du PIB, entraînant la perte de 22 % des emplois directs du secteur.

Dans un contexte de forte concurrence, la productivité des entreprises et de la main d'oeuvre, notre capacité d'innover et celle de créer des entreprises qui s'inséreront au sein de chaînes de valeurs mondialisées sont davantage garantes de notre santé économique à long terme que le fait de miser sur l'espoir de se réveiller un matin assis sur une grosse bulle d'hydrocarbures.

On voit mal comment une éventuelle - et lointaine - exploitation pétrolière, aux retombées économiques et environnementales plus qu'incertaines, viendrait soutenir l'économie réelle et appuyer nos entreprises à faire leur place sur les marchés internationaux.

« Nos entreprises font face à une concurrence internationale impitoyable, dont seules les plus productives, les plus innovatrices et les plus flexibles peuvent sortir gagnantes », note à juste titre la nouvelle Politique industrielle du Québec de la ministre Zakaïb. Face à la hausse des coûts de l'énergie et des matières premières, « les entreprises de tous les secteurs et de toutes les régions doivent innover et faire des gains importants de productivité, tout en se positionnant sur la scène mondiale avec une commercialisation efficace », indique encore la Politique.

Le constat est posé. Restera à voir, comme l’indique Jacques Parizeau, ce que privilégieront les partis politiques et les décideurs économiques au cours des prochains mois. Une économie fantasmée, qui monopolise une grande partie du débat économique et du temps d’antenne, ou l’économie réelle, sur laquelle repose, aujourd’hui et pour demain, la société québécoise.

Le rêve d’un Québec pétrolier doit être considéré comme il est : une question périphérique qui détourne l'attention des enjeux fondamentaux de notre économie, au profit d'un tout petit nombre d'individus et d'entreprises qui souhaitent embrigader la société québécoise et les deniers publics pour soutenir leurs investissements hautement spéculatifs.