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Opinion  •  3 min

Quand il faudrait s'attacher au mât pour résister au chant des sirènes

Publié le 

par :  Hugo Séguin Blog - Ulysse et les sirènes

« Le Brésil fait face à un choix : développer ses immenses ressources pétrolières ou contribuer au changement de paradigme et développer ses énergies renouvelables », a déclaré ce matin Oswaldo Lucon, conseiller technologique du gouvernement de l'État de São Paulo, dans un événement parallèle sur la question des transports et des changements climatiques organisé par Équiterre, en collaboration avec Bombardier.

Le Brésil a découvert un très gros gisement pétrolier au large de ses côtes - le gisement Tupi, ou Lula (pour « pieuvre », pas pour l'ancien président, semble-t-il) - qui contiendrait plusieurs milliards de barils de pétrole recouvrables. Un gros, gros gisement, mais difficile d'accès, au large de Rio de Janiero, et à plusieurs kilomètres de profondeur. Les investissements nécessaires pour extraire ce pétrole sont colossaux, bien qu'il est difficile de les évaluer avec précision, certains les estimant entre 50 et 100 milliards de dollars. Dans une dépêche toute chaude, The Economist indique que Petrobras, la compagnie pétrolière nationale du Brésil, compte faire l'acquisition de 45 plates-formes de forage géantes, chacune se détaillant entre 4 à 5 milliards de dollars.

L'État brésilien compte sur ces ressources pour hisser le pays au rang de superpuissance énergétique, créer des emplois et générer du développement économique.

Ça vous rappelle quelque chose ?

Dans un coin du continent nord-américain, une province un peu excentrée - à la fois géographiquement et culturellement (non, je ne parle pas de Terre-Neuve et Labrador) -, où des prospecteurs, locaux ou non, nous indiquent que le Québec serait assis sur une mer de pétrole et de gaz naturel, ressources que nous devrions nous précipiter d'exploiter toutes affaires cessantes. Le chant des sirènes est puissant, et la capacité de résistance de nos décideurs - et la nôtre également - semble relativement faible.

- « Mais tu ne te rends pas compte, Hugo, c'est deux milliards... », de me dire des représentants gouvernementaux et des députés de l'Assemblée nationale, de tous les grands partis confondus, tout juste avant notre crise nationale des gaz de schiste.

- « Deux milliards de quoi ? De revenus ? De profits ? De redevances ? »

- « Euh, sais pas. Mais tu te rends compte : DEUX MILLIARDS ! »

- « Par année? Sur 5 ans? Sur 20 ans ? »

- « Sais pas. Mais c'est deux milliards ! », me répondait-on,  les yeux pleins d'étoiles.

Dans ces moments-là, je savais qu'André Caillé, en tant que président de l'Association pétrolière et gazière du Québec, venait de parler au caucus des députés. À croire qu'il traînait avec lui un petit sac de poudre magique qu'il projetait devant son auditoire ébahi.

Je vous écris en direct de la présentation formelle de la bible des chercheurs et praticiens en énergie, le World Economic Outlook 2011 de l'Agence internationale de l'énergie. Les données sont claires, et le message est implacable : si on ne diminue pas notre consommation totale de pétrole, de gaz et de charbon à travers le monde, oubliez ça ; nous serons sur une trajectoire insoutenable menant directo à des augmentations de températures de 3,5 à 6,5 degrés Celcius, des niveaux pour lesquels la communauté scientifique ne répond plus de rien.

Dans ce contexte, le choix qui s'offre au Brésil s'offre aussi au Québec. Que faire du pétrole et du gaz potentiellement exploitable sur notre territoire ? On exploite, drille, pompe et siphonne toutes ressources fossiles à portée de pépine, ou on fait notre part dans la lutte aux changements climatiques?

Si on le voit du seul point de vue du Québec, on peut se convaincre que nos (potentielles et futures) ressources fossiles ne feront que se substituer à nos importations, et qu'on échangerait quatre trente sous pour un dollar. Ce serait oublier que ce que nous n'importerons plus sera vendu ailleurs, et que par conséquent, chaque baril de pétrole ou m3 de gaz extrait de notre territoire ajoutera au problème mondial.

Ce serait aussi oublier de miser sur ce que l'on pourrait faire de mieux: l'hydroélectricité,  développer chez nous l'économie verte, nous rendre plus efficace comme société, électrifier nos transports, exporter nos surplus d'énergie.

Ou encore, on peut se dire qu'on serait stupide de ne pas exploiter nos ressources alors que tout le monde entier le fait.

Au diable les conséquences.

En ce sens, le choix qui s'offre au Brésil s'offre au Québec.

C'est aussi le choix qui s'offre à la planète ici, à Durban.