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Le ton commence à monter ici, à Durban, où nous n’avons plus le luxe de reporter à plus tard le moment de prendre des décisions. Ça donne des bouffées d’exaspération, comme celle hier de Kumi Naidoo, directeur général de Greenpeace International, qui s’en est pris directement aux intérêts charbonniers, mais aussi gaziers et pétroliers, les accusant de tout faire pour dérailler le processus de négociations.
Greenpeace présentait une série de rapports accablants sur l’industrie du charbon à travers le monde, montrant à quel point cette industrie, comme les autres industries fossiles, siphonne le soutien financier des États, contribue le plus aux émissions mondiales de GES et retravaille son image pour se présenter aujourd’hui comme énergie « propre ».
Ça promet pour la conférence que présentera ici l’industrie du charbon la semaine prochaine…
Nous vivons présentement une situation de blocage au sein des négos. Il est utile de se demander ce qui la crée. Certains parlent de « manque de courage politique », d’autres blâment le ralentissement économique mondial, et d’autres encore, qui sont de plus en plus nombreux, commencent à regarder du côté de l’influence des grands intérêts économiques.
Creusons un peu.
Si on avait à résumer les enjeux des négociations en deux courtes phrases, voici ce que cela donnerait :
(1) Nos émissions de gaz à effet de serre dérèglent le climat et il faut les réduire.
(2) Les changements climatiques ont des impacts, et quelqu'un doit payer la facture.
Deux enjeux aux puissantes ramifications économiques, en plus des impacts sociaux et environnementaux.
La façon dont on s'y attaque crée des gagnants et des perdants. Puisque le secteur des énergies fossiles est le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre, c'est aussi celui qui a le plus à perdre d'une transition vers d'autres formes d'énergie. C'est aussi un secteur très puissant, habitué depuis des décennies à tirer les bénéfices de sa position dominante, tant au point de vue économique que politique.
L'ampleur des subventions consenties à travers le monde aux industries pétrolières, gazières et charbonnières représente l'une des meilleures illustrations de cette situation privilégiée et de cette proximité avec les pouvoirs publics. Selon les dernières estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les subventions, de toute nature, destinées à soutenir la consommation d’énergie fossile à travers le monde s’élevaient, en 2010, à quelque 409 milliards de dollars, la moitié seulement dans le seul secteur pétrolier. Et ce, en plein ralentissement économique mondial.
Au Canada, selon une toute récente recension réalisée pour le compte de l’OCDE, l’ampleur des subventions aux carburants fossiles – tant pour les consommateurs que pour les producteurs - s’élèverait à plus de 2 milliards de dollars par année, tant de la part du gouvernement fédéral (pour près de 550 millions par année), de l’Alberta, de la Saskatchewan et de la Nouvelle-Écosse. Tout ça pendant qu’on sabre dans les budgets de l’État.
Même mes amis de l'Institut économique de Montréal devraient s'insurger un petit peu il me semble.
L’influence des pétrolières est incontestable au Canada, au point que le gouvernement fédéral fonctionne « en équipe » avec les joueurs du secteur, montant des missions politiques à Sacramento, en Californie, ou encore à Bruxelles pour influencer les réglementations vertes nuisant au développement des sables bitumineux. C’est aussi un partage des lignes de presse, avec des discours interchangeables entre représentants de l’industrie, députés et ministres conservateurs. L’industrie pétrolière a de tout temps été forte et puissante au Canada, mais jamais à un tel degré.
Si cette influence se limitait au Canada, ce serait dommage, mais probablement gérable d’un point de vue mondial. Mais l’adéquation entre les intérêts de l’industrie pétrolière et la machine diplomatique canadienne entraîne des effets corrosifs sur les négociations climatiques. La meilleure façon pour les pétrolières de se prémunir contre les effets d’objectifs contraignants de réduction d’émissions de gaz à effet de serre est de s’assurer qu’il n’y ait, au final, aucun objectif contraignant. L’industrie réduira ses émissions si, et quand cela sera à son avantage économique de le faire.
Pas étonnant de voir le Canada ici à Durban défendre bec et ongle son statut de « superpuissance énergétique », et son droit inaliénable de réaliser son destin cosmique de remplir les réservoirs des centaines de millions de voitures à travers l'Amérique du Nord jusqu'à la fin des temps.
Bien entendu, les industries fossiles ne sont pas les seules à résister au changement inévitable. D’autres facteurs jouent aussi. Mais arrêtons, de grâce, de se limiter à des platitudes du style « manque de leadership politique » ou « d'absence de vision », et intéressons-nous davantage aux intérêts qui prennent en otage notre démocratie.
C’est le message que je retiens de l’intervention de Kumi Naidoo de Greenpeace.
Éphémérides 1 - De la difficulté de venir du Canada ces jours-ci
Apostrophé hier soir (gentiment) par le directeur d'un centre de recherche britannique sur l'énergie :
- You are Canadian ? Pffff... What a country !
- Well, most of us are doing the best we can, que je réponds.
- Well, that doesn't seem to be enough.
Dur.
Éphémérides 2 - Burn, Baby Burn
Si Michael Moore - ou Hugo Latulippe et Richard Desjardins - voulait faire un documentaire punché sur les liens entre pouvoir politique et intérêts pétroliers, ils n'auraient pas besoin de chercher bien loin pour obtenir du bon matériel.
Je vous laisse sur cette magnifique entrevue à la BBC du ministre de l'Énergie du Canada, Joe Oliver, défendant le droit du Canada de carboniser l'atmosphère sans entrave, s'opposant à la Directive européenne sur les carburants et pelletant la moralité de l'exploitation des sables bitumineux dans la cour des consommateurs en s'en lavant les mains
Q - L'Europe cherche à opérer une transition vers les énergies alternatives.
R - Nous aussi, de répondre le ministre (tu parles !)
Q - Les sables bitumineux sont le secteur industriel le plus émetteur de gaz à effet de serre au monde...
R - Ça ne représente que 1 /1000 des émissions mondiales.
Q - Mais ce pétrole est plus polluant que les autres...
R - À peine 5 à 15% plus.
Q - Le Canada n'a-t-il pas un devoir moral de faire quelque chose pour diminuer les émissions ?
R - Tant qu'il y aura des consommateurs...
Belle prestation du ministre, quand même, qui ne déroge jamais de ses lignes de presse, même devant un intervieweur qui le pousse très fort.