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Opinion  •  5 min

Que fait Jean Charest à Cancun?

Publié le 

par :  Hugo Séguin Blog - Charest à Cancun

La photo montre l'ancien ministre Claude Béchard à la Conférence de Nairobi en 2006. Claude Béchard est l'un des pionniers de l'action du Québec en changements climatiques. Le texte qui suit cherche à rendre hommage à ceux qui, comme lui, avant et après, ont poussé l'action du Québec sur la scène internationale tout en souhaitant toujours plus de cohérence dans les actions gouvernementales.

Jean Charest est en mission à Cancun, accompagné d'un impressionnant entourage de conseillers, sous-ministres, fonctionnaires et gardes du corps. « Il vient parader », disent certains. « Il vient se reposer », disent certaines. « Rien à faire ici ».

Minute.

Je sais qu'il est difficile de parler du premier ministre ces temps-ci sans que toute conversation ne soit contaminée par l'épouvantable décomposition de la situation politique québécoise. Surtout pour un écolo qui voit la province se couvrir de contrats d'asphalte et, potentiellement, de milliers de puits de forage de gaz de schiste.

Mais encore faut-il se garder de confondre le politicien et le chef du gouvernement en mission officielle à l'étranger pour représenter le Québec.

Le gouvernement du Québec a-t-il raison d'être actif sur la scène internationale, dans le dossier des changements climatiques?

Absolument.

Au Canada, ce sont les provinces qui détiennent la grande majorité des responsabilités pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Elles contrôlent de façon exclusive la production d'énergie et l'extraction des ressources naturelles, l'aménagement du territoire et les transports intérieurs, la gestion des matières résiduelles, de même que de grands pans de la politique agricole. Elles peuvent également réglementer les émissions industrielles. On peut, comme certaines provinces le font, attendre des décisions qui viendront d'Ottawa.

Elles vont attendre longtemps.

On peut aussi prendre tout ça au sérieux. Se donner des objectifs, un plan d'action, des moyens financiers. Nouer des alliances à l'international, avoir quelque chose à dire sur les grands enjeux de négociations.

C'est ce qu'a fait le Québec depuis une dizaine d'années, sous le PQ comme sous les Libéraux, avec des moments creux.

En 2005, lors de la Conférence de Montréal sur le climat, les groupes environnementaux québécois avaient demandé la démission de Thomas Mulcair, qui avait par son désintérêt permis que le Québec s'y présente les mains vides, sans objectif, sans moyen, sans plan d'action sur les changements climatiques.

Une honte nationale.

Après le départ de Mulcair, Claude Béchard avait reçu le mandat de livrer un plan de lutte aux changements climatiques. Le premier vrai. Béchard s'y était plongé avec sa fougue habituelle. Moins de 6 mois plus tard, il en faisait l'annonce.

Nous ne pouvions qu'y applaudir. Si nous l'avions écrit, nous n'aurions probablement pas pu faire mieux.

Puis, nous avons souhaité que Québec s'intéresse aux négociations elles-mêmes. Le gouvernement Harper venait de prendre le pouvoir et s'appliquait consciencieusement à démanteler chacun des programmes de lutte aux changements climatiques mis en place par les Libéraux fédéraux.

Nous pensions que la vision du Québec devait faire contrepoids au discours anti-Kyoto du gouvernement fédéral sur la scène internationale.

Le gouvernement envoie le ministre Claude Béchard à la Conférence de Nairobi en 2006. Il voyage léger : deux fonctionnaires, un attaché. Son mandat : présenter le plan du Québec, dire que le gouvernement est prêt à faire sa part. Et souhaiter que le fédéral en fasse plus.

C'est un début.

L'année suivante, Line Beauchamp, sera à la conférence de Bali. Elle y fait des annonces, commence à se faire des contacts, initie des projets. Parle à d'autres États fédérés. Elle apporte le soutien du Québec à l'objectif de limiter la hausse de la température moyenne du globe à moins de 2 degrés, un des grands enjeux de la conférence.

En 2008, à Poznan, en Pologne, Line Beauchamp, au nom du gouvernement du Québec, accepte l'objectif d'une réduction commune des émissions des pays industrialisés de -25 % à -40 %. Le Québec prend ainsi position, alors que le Canada refuse de bouger et que plusieurs pays ne veulent pas s'engager si loin.

La ministre continue à bâtir son réseau, annonce un investissement de Québec de 300 000 $ sur trois ans pour soutenir la mobilisation de la société civile mondiale dans le dernier droit vers la Conférence de Copenhague. Avec cet argent et à l'instigation d'Équiterre, un secrétariat international voit le jour à Montréal. Le soutien initial de Québec permettra à ce secrétariat de lever plus de 15 millions de dollars et de lancer la campagne TckTckTck, qui deviendra un grand success story.

Et comme Claude Béchard, la ministre confronte le gouvernement fédéral. Il faut avoir vu les tensions entre le personnel politique du Québec et du fédéral au cours de ces années pour comprendre que la dissidence du Québec piquait au vif à Ottawa.

À Copenhague, le premier ministre Charest porte un message clair : le Québec est prêt à faire sa part dans la prochaine ronde du Protocole de Kyoto. Le Québec s'est donné les plus ambitieuses cibles de réduction du continent nord-américain, égales à celles de l'Union européenne.

Le premier ministre martèle que la position du gouvernement Harper est inadéquate et doit changer. Il va très loin, politiquement et diplomatiquement, dans ses relations avec le fédéral. Après la conférence, à Rivière-du-Loup, il balancera à la face de Stephen Harper qu'il ne regrette rien, une gifle publique pour le premier ministre du Canada.

Et il continue. Il sera au Climate Week à New York, au siège de l'ONU cet automne. Et il est aujourd'hui ici à Cancun, pour présider le Sommet des leaders.

Il y poursuit l'action du Québec à l'international. Avec force, conviction et passion. Je ne suis pas un militant libéral, mon parcours professionnel ne laisse pas beaucoup d'ambiguïté à ce sujet.

Comme la très grande majorité des Québécois, je suis écœuré de la situation politique québécoise et je réclame une commission d'enquête sur la corruption. Et je souhaite un vigoureux coup de balai au sein de nos institutions, publiques et privées, à tous les niveaux. Je ne suis pas naïf non plus. Pendant que Jean Charest travaille sur les changements climatiques, son gouvernement asperge la province de contrats routiers et ouvre les vannes sur les gaz de schiste.

La cohérence est toujours difficile en politique. Et rarement atteinte. Ce qui m'enrage comme tout le monde.

La politique est un jeu d'équilibre.

Mais je ne suis pas prêt à réduire tous les efforts du gouvernement du Québec en changements climatiques à un seul simple exercice de relations publiques.

Ceux et celles qui le prétendent giflent à leur tour tous ceux et celles qui y croient et qui donnent leur 110 %, à tous les échelons du gouvernement, y compris au plus haut niveau.

Un jour quelqu'un devrait écrire cette incroyable histoire. Et rendre justice aux artisans d'un État et d'une société, le Québec, qui s'est investi comme aucune société développée de son niveau ne l'aura jamais fait.