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Opinion  •  3 min

Lettre ouverte - Nourrir le monde, d'une autre manière

Petite pousse au milieu d'autres plantes

Publié le 

À lire plusieurs intervenants dans les médias, on a parfois l’impression qu’il existe une façon unique de faire de l’agriculture et que le moindre écart ou manquement à ce paradigme menace notre capacité à nourrir le monde, autant chez nous au Canada qu’ailleurs sur la planète. Il existe toutefois d’autres manières d’y arriver, et ce, en dérogeant à ce qu’on nous répète sur toutes les tribunes.

Ce qu’on remarque, c’est que ce modèle d’agriculture qu’on qualifie de « conventionnelle » se base sur plusieurs mythes fondateurs très tenaces.

C’est que ces mythes sont basés sur un argumentaire en apparence indestructible : pour nourrir l’humanité, il faut tout miser sur un modèle d’agriculture conventionnelle.

Oui, les menaces de pénurie et de famine sont bien réelles, mais les résoudre ne pourra se faire qu’en déconstruisant un à un les fils du système qui les entretient actuellement.

Winston Churchill disait qu’il était préférable de prendre le changement par la main avant qu’il nous prenne par la gorge. Avec les défis grandissants en agriculture et la crise climatique qui prend de l’ampleur, jamais ce propos n’aura été autant d’actualité.

Un terrain fertile au changement

Un des mythes les plus importants, c’est que pour nourrir le monde, notre agriculture doit absolument miser sur les engrais chimiques et qu’il faut à tout prix sécuriser leur approvisionnement.

On le voit en ce moment, l’invasion de l’Ukraine menace sérieusement l’approvisionnement pour ces produits. Les multinationales qui en font la vente, bien conscientes de la situation, en profitent pour gonfler leurs prix, ce qui place les agriculteurs et agricultrices dans une position intenable.

Et si on appréhendait cette situation critique différemment ? Si on en profitait pour réviser notre dépendance à ces engrais et envisager d’autres avenues pour assurer la fertilité du sol ?

Parce que des solutions accessibles, éprouvées et beaucoup moins à la merci de la situation politique et économique mondiale existent !

Sans sols en santé, il n’y a pas de production alimentaire. Les pratiques agricoles durables les favorisant sont bien connues et leurs impacts démontrés : des sols en santé produisent des aliments plus nutritifs, permettent de lutter contre les changements climatiqueset de s’y adapter et réduisent du même coup la dépendance aux engrais chimiques. Une planification de la fertilisation qui priorise la santé des sols permet donc d’agir de manière préventive.

D’ailleurs, le Canada s’est doté d’une cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux engrais azotés (en gros, des engrais chimiques) de 30 %. La crise actuelle est donc une belle occasion de se donner les moyens d’atteindre cette cible et d’accélérer le changement en soutenant l’adoption de pratiques bénéfiques à la santé des sols dans les 190 000 fermes du Canada.

Le mirage du « toujours plus »

Un autre mythe fondateur de l’agriculture conventionnelle, c’est qu’il faille toujours rendre notre agriculture plus productive pour nourrir une population mondiale croissante.

Or, notre agriculture est déjà productive. En 2020, le système agroalimentaire canadien a généré 139,3 milliards de dollars, soit environ 7,4 % du produit intérieur brut (PIB) du Canada. Notre système agricole génère ainsi un grand revenu, mais à quel prix ?

Au Québec, nos terres agricoles, qui représentent 2 % du territoire, sont exploitées pour produire du maïs et du soya – précisément 75 % des superficies cultivées en grains – afin de nourrir les animaux d’élevage destinés à l’exportation. Pendant ce temps, près de 900 000 Québécois souffrent d’insécurité alimentaire et nous gaspillons annuellement au Canada 30 % de notre nourriture. Posons-nous donc la question : ce système, aussi productif soit-il, est-il réellement efficace ?

Pour nourrir le monde, notre agriculture doit donc être productive, mais pas à n’importe quel prix : elle doit surtout être plus juste et plus durable. Pour y arriver, il faut encourager l’adoption de pratiques à la ferme qui favorisent la santé des sols, s’assurer de limiter le gaspillage alimentaire et nutritionnel de la terre à l’assiette, rémunérer adéquatement les travailleurs agricoles et redistribuer la production de manière équitable, ici comme ailleurs.

Au lieu de chercher à systématiquement pousser la machine au bout de ses capacités, quitte à employer des moyens qui contribuent à l’effondrement de la biodiversité et à la crise climatique, il faudra plutôt employer des pratiques axées sur la nature qui nous prémunissent contre ces grandes menaces et qui nous permettront donc de demeurer productifs, mais d’être plus efficaces !

Parce que, oui, l’agriculture durable peut nourrir le monde. C’est ce qu’affirme l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) depuis plus de 13 ans : « Ce n’est qu’avec l’intensification durable de la production agricole que l’on peut accomplir de véritables progrès vers la […] réduction de la faim et de la pauvreté et la sauvegarde de l’environnement. »

En juillet, les ministres de l’Agriculture des provinces se réuniront pour élaborer un nouveau cadre agricole pour les cinq prochaines années. Nous demandons qu’elles et ils ouvrent leurs horizons : une autre vision de l’agriculture est possible. Il est temps d’agir pour la façonner ensemble.