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Toute cette eau qu’on a reçue. En si peu de temps en plus : un deuxième record de précipitations en deux ans.
Ça a encore débordé et inondé. Et comme d’habitude, la réaction a été bruyante et sans équivoque : « il faut refaire les égouts ». Comme si on pouvait toujours tout régler avec un tuyau plus gros: un égout ici, un 3e lien là, un pipeline, pourquoi pas?
En tant que personne avec des valeurs écologiques, la discussion qui a suivi ces énièmes inondations m’a davantage marquée que les précédentes. Elle a mis en évidence plus clairement que jamais cette manie qu’on a collectivement de vouloir évacuer le problème au lieu de le comprendre. De le canaliser ailleurs, dans un tuyau, un coin du cerveau qu’on appelle «plus tard».
C’est là que j’ai pensé aux éponges – sous forme de parcs entre autres – qui ont aussi fait la manchette aux côtés des égouts, une solution largement moins plébiscitée par les hordes (légitimement) en colère sur les réseaux sociaux.
L’égout et l’éponge, donc.
Et si c’était aussi la métaphore parfaite de notre rapport à la crise climatique ? Pas juste dans nos infrastructures, mais dans nos têtes aussi.
La fuite… en avant
Comprenez-moi bien, c’est important de revoir comment on conçoit nos infrastructures de gestion des eaux et d’y investir. Les systèmes sont vieux, conçus pour une époque où l’eau était plus tranquille, mettons. Mais ce que je trouve fascinant, c’est le réflexe presque animal de #TeamÉgouts : face à quelque chose qui déborde, notre réflexe est de creuser. On expulse. On veut que ça parte, pis vite. Que ça se règle sans que ça nous touche, sans qu’on puisse le voir, si possible.
Je fais souvent pareil.
Quand une émotion trop grosse me pogne – disons la foutue chienne qui me prend au ventre devant les caribous qui désertent, les oiseaux qui chantent plus, les tourbières qu’on enterre vivantes et les forêts qui brûlent – je trouve un moyen de détourner l’eau. Je l’envoie vite dans une blague. Dans un projet inutile. Dans une distraction.
Ça donne l’illusion que je contrôle l’eau qui monte. Jusqu’à ce que ça refoule, bien évidemment. Jusqu’à avoir les pieds, et les yeux, dans l’eau.
L’égout, on y envoie aussi nos peurs, nos fatigues, nos responsabilités évitées. Il nous donne une impression de propreté. Il fait juste déplacer le problème.
Absorber le choc
L’éponge, elle, entre dans une autre logique. On ne cherche pas à faire partir l’eau. On lui fait de la place, on l’invite pour ralentir sa course.
Je pense donc que ça nous prendrait plus de parcs éponges dans nos villes et dans nos cœurs. Accueillir l’eau, la peur, la honte, le deuil. Et faire de la place pour que ça s’infiltre doucement, plutôt que de tout rejeter le plus vite possible.
L’éponge met de l’avant la transformation, pas la résignation. Elle demande toutefois un peu de courage, ou du moins une capacité à se salir un peu. À rester dans la bouette sans paniquer. À accepter que peut-être, cette inondation, elle est en partie le miroir de ce qu’on a refusé d’absorber depuis trop longtemps.
L’eau qui monte
Ce qui me frappe aussi après ce nouveau cataclysme météo, c’est qu’on parle de la crise climatique comme d’un problème qu’on pourrait simplement résoudre en cochant les bonnes cases. Mais la crise ne demande pas juste des solutions. Elle demande un changement dans notre manière de changer. Me suivez-vous?
Peut-être qu’en devenant un peu plus poreux, spongieux, on finirait par mieux vivre dans ce monde. Ce monde où ça déborde de partout. On s’adapterait pour vrai.
Peut-être qu’avant de couler encore et toujours plus de béton, on pourrait se demander si on n’est pas aussi constamment en train d’asphalter notre propre capacité à ressentir.