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Nouveau rapport "Risquer Gros : Comment le soutien financier d’Exportation et développement Canada aux combustibles fossiles contribue aux changements climatiques" / Questions et réponses

Publié le 

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Nouveau rapport
Risquer Gros : Comment le soutien financier d’Exportation et développement Canada aux combustibles fossiles contribue aux changements climatiques



Questions et réponses
Par Annie Bérubé, directrice des relations gouvernementales d’Équiterre

Un nouveau rapport révèle le décalage entre les promesses du gouvernement canadien en matière de changements climatiques et les actions de son agence officielle de crédit à l'exportation, Exportation et développement Canada (EDC), visant à soutenir l'industrie pétrolière et gazière. La directrice des relations gouvernementales d’Équiterre, Annie Bérubé, explique les grandes lignes du rapport et pourquoi les constats devraient préoccuper les contribuables canadiens.

1. Qu’est-ce que Exportation et Développement Canada?


Exportation et développement Canada (EDC) est l’organisme de crédit à l’exportation du Canada et une société d’État qui appartient à part entière au gouvernement du Canada. EDC a pour mandat de soutenir et développer le commerce entre le Canada et l’étranger ainsi que la capacité concurrentielle du pays sur le marché international.

Exportation et développement Canada offre des services de financement garanti par le gouvernement du Canada, des services d’assurance, de cautionnement et des conseils d’experts. Bien qu’EDC fonctionne de façon autonome, il s’agit d’un organisme de la Couronne entièrement détenu, appuyé et contrôlé par le gouvernement du Canada. EDC doit rendre des comptes au Parlement par l’intermédiaire du ministre du Commerce international, qui nomme tous les membres du conseil d’administration et détient le pouvoir d’orienter ses actions*1.

2. Des services garantis par le gouvernement, donc financés par les contribuables?


À la différence des fournisseurs indépendants de financement commercial, le financement accordé par EDC est garanti à même l’argent des contribuables. Il s’agit d’un élément qui change la donne pour de nombreuses entreprises, particulièrement pour celles dont les projets présentent de hauts niveaux de risques inhérents. En acceptant d’assumer la responsabilité de la dette sous-jacente, EDC peut mobiliser des prêts et des investissements supplémentaires provenant du secteur privé pour investir dans des projets pour lesquels il aurait autrement été ardu d’obtenir du financement.

3. Quels sont les constats du rapport Risquer gros?


EDC fournit plus de financement public aux énergies fossiles qu’aux technologies propres. EDC soutient l’exploration, l’expansion et le transport d’énergies fossiles au Canada et à l’étranger, souvent pour des projets qui sont trop risqués pour le secteur financier privé.

  • De 2012 à 2017, EDC a versé à l’industrie du pétrole et du gaz une aide financière douze fois plus importante que celle accordée au secteur des technologies propres, lui accordant plus de 10 milliards $ CA en moyenne chaque année.
     
  • Durant les deux premières années du gouvernement de Justin Trudeau, EDC a accordé davantage de soutien financier à l’industrie pétrolière et gazière (22,4 milliards $ CA) qu’au cours des deux dernières années du mandat de son prédécesseur, Stephen Harper (20,9 milliards $ CA).
     
  • Les données disponibles indiquent qu’en moyenne, près de 30 % du soutien accordé par EDC à l’industrie pétrolière et gazière est destiné à financer les opérations intérieures des entreprises canadiennes plutôt qu’à servir la mission d’origine d’EDC qui est le financement international axé sur l’exportation.
    (Contrairement à la plupart des sociétés de crédit à l’exportation d’autres pays, le gouvernement Harper avait élargi le mandat d’EDC lors de la crise financière de 2008 afin de permettre à l’organisme de fournir également de l’aide financière directe garantie par le gouvernement à des entreprises canadiennes pour des projets au Canada. Cette pratique perdure encore aujourd’hui.)
     
  • En août 2018, c’est EDC qui a financé l’achat par le gouvernement du Canada de l’oléoduc Trans Mountain au coût de 4,5 milliards de dollars CA et c’est EDC qui financerait le projet de construction pour l’expansion de Trans Mountain.

4. En quoi ce financement interfère-t-il avec nos objectifs de lutte aux changements climatiques?


L’un des trois principaux objectifs de l’Accord de Paris, conformément à l’alinéa 2.1(c) consiste à « [rendre] les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ». Une analyse a révélé que le fait de brûler les réserves déjà exploitées de pétrole, de gaz naturel et de charbon dépasserait largement les bilans de carbone associés à l’Accord de Paris*2. De ce fait, l’élimination des investissements dans les nouvelles activités pétrolières et gazières est nécessaire si l’on souhaite atteindre les cibles de l’Accord de Paris, que le gouvernement du Canada s’est engagé à atteindre.

Les parts importantes de financement public octroyées par EDC sont un des facteurs qui rendent profitables et possibles de nouveaux projets d’expansion de combustibles fossiles au Canada et à l’étranger. Ce financement est donc principalement voué à la croissance de la production pétrolière et gazière.

Le fait de financer des infrastructures favorisant l’exploitation des combustibles fossiles à long terme nous contraint à un avenir à fortes émissions. Les nouveaux oléoducs destinés à l’exportation du pétrole et du gaz naturel sont conçus pour avoir une durée de vie de 50 ans.

De plus, EDC soutient des formes d’exploitation de combustibles fossiles particulièrement dommageables pour l’environnement parmi toutes celles de l’industrie pétrolière et gazière. De 2013 à 2017, EDC a octroyé au moins 4,4 milliards $ CA — et probablement encore plus — aux activités de quelques sociétés comptant parmi les plus importants investisseurs dans la croissance de l’exploitation des sables bitumineux, une des sources d’énergie produisant le plus de carbone à l’échelle mondiale.

5. Est-ce que le financement public d’EDC constitue une « subvention » aux énergies fossiles?


En tant qu’institution financière soutenue par le gouvernement, même si EDC procure des rendements nets au Trésor public, les risques et les responsabilités financières qu’elle prend en charge sont transférés aux contribuables canadiens. De plus, comme pour toutes les agences de crédit à l’exportation, ses instruments de soutien et de financement procurent des avantages supérieurs à ceux habituellement offerts par les ententes purement commerciales. Lorsque les conditions sont plus favorables que les conditions du marché, on retrouve un élément de subvention (bien que le degré selon lequel les conditions sont plus favorables que celles du marché demeure difficile à évaluer en raison du manque de transparence au niveau des transactions).

C’est pourquoi réorienter le financement accordé par EDC à l’industrie pétrolière et gazière est étroitement lié à l’engagement du Canada à éliminer les subventions aux combustibles fossiles.

6. Est-ce que les pratiques d’EDC en matière de financement des énergies fossiles diffèrent de celles d’autres sociétés d’État et du secteur financier public?


Oui. Les pratiques d’EDC diffèrent de celles de plusieurs institutions financières publiques qui ont restreint leur soutien aux projets de combustibles fossiles à la demande de leurs actionnaires afin de réduire le risque financier que représente un portfolio d’investissement fort en carbone. L’exemple le plus notable est celui du Groupe de la Banque mondiale qui a établi, en 2017, une nouvelle norme en s’engageant à ne plus financer, après 2019, les activités en amont de l’industrie pétrolière et gazière.

Les banques commerciales ainsi qu’une multitude d’autres types d’investisseurs ont également pris d’importantes mesures afin de restreindre le financement d’activités liées aux combustibles fossiles, qu’il s’agisse du financement octroyé aux centrales électriques alimentées au charbon ou encore pour l’extraction minière, l’exploitation de sources non traditionnelles de pétrole et de gaz (incluant la production de bitume et les infrastructures associées à l’huile et au gaz de schiste ainsi qu’au gaz naturel liquéfié). On retrouve parmi ces institutions quelques-unes des plus grandes banques du monde, telles que BNP Paribas, ING, HSBC, JP Morgan Chase, Crédit Agricole, la Société Générale, ainsi que certaines des plus grandes compagnies d’assurance, comme AXA, Alliance et Swiss Re.

Nous savons depuis longtemps que les pratiques de financement d’EDC sont problématiques pour le climat, mais également pour les droits humains. EDC a financé plusieurs projets de compagnies étrangères impliquées dans des abus de pouvoir, de corruption et d’atteinte aux droits de la personne. Le Vérificateur général du Canada a aussi trouvé plusieurs failles majeures dans la gestion du risque de cette société d’État.

Le gouvernement du Canada doit effectuer tous les dix ans un examen de la Loi sur le développement des exportations, laquelle régit le mandat et le cadre juridique d’EDC. Cette revue législative est présentement en cours.

7. Que recommandent Équiterre et ses partenaires au gouvernement du Canada?


Dans le cadre du réexamen en cours de la Loi sur le développement des exportations, le gouvernement du Canada devrait :

  • Interdire à EDC de soutenir des projets liés au pétrole, au gaz et au charbon, incluant tout financement pour des nouvelles infrastructures d’appui à la production, au transport ou à la consommation de combustibles fossiles d’ici 2020.
     

Le gouvernement devrait en outre faire l’annonce de cette modification dans son prochain budget fédéral, qui sera présenté à l’hiver 2019.

  • S’assurer que les politiques d’EDC éliminent totalement toute forme de financement et de soutien aux combustibles fossiles, et que sa politique sur les changements climatiques assure la correspondance de tout son portefeuille avec les cibles les plus ambitieuses de l’Accord de Paris;
     
  • Accroître la transparence dont il fait preuve dans la divulgation des transactions individuelles de façon à y inclure davantage d’informations détaillées sur les activités spécifiques ainsi que sur les volumes de financement;
     
  • Mettre fin à la pratique qui permet à EDC de continuer à financer les activités de compagnies à l’intérieur du Canada.

8. En résumé, pourquoi les citoyens devraient-ils être préoccupés, et que pouvons-nous faire?


Les fonds publics sont limités. Chaque dollar doit être dépensé de façon aussi stratégique que possible. Maintenir le financement public de projets liés à l’expansion des combustibles fossiles réduit le financement disponible à l’exportation de technologies propres qui offrent des solutions aux changements climatiques.

Le Canada fait piètre figure par rapport à d’autres pays au chapitre du financement public de l’énergie; la proportion des fonds publics octroyés au secteur pétrolier et gazier en fonction de la taille de l’économie du pays compte parmi les plus élevées au monde*3. Il en est de même pour les autres dépenses fiscales du Canada et l’appui financier au secteur pétrolier et gazier, un domaine dans lequel le Canada s’est classé dernier parmi les pays du G7, d’après une récente feuille de pointage portant sur les combustibles fossiles*4.

EDC est une société d’État qui se doit d’être gouvernée de près et d’être imputable envers le Parlement du Canada. Les Canadiennes et les Canadiens ont le droit de savoir à quelles fins les fonds publics et le crédit du gouvernement du Canada sont utilisés. Les Canadiennes et les Canadiens doivent avoir l’assurance que le ministre de la Diversification du commerce international a le contrôle sur cette société d’État.

Le gouvernement du Canada doit éliminer tout financement octroyé par EDC à l’industrie pétrolière et gazière dans le cadre de son engagement d’éliminer les subventions aux énergies fossiles.

Signer la pétition pour demander au gouvernement fédéral d’éliminer complètement les subventions aux énergies fossiles!

Références : 

*1 - xiii En 2017, EDC a reçu la somme de 300 millions de dollars — l’argent des contribuables — pour mettre sur pied le nouvel Institut de financement du développement, qui est sa propriété exclusive, afin de soutenir les prêts accordés au secteur privé dans les pays en développement.

*2 - Greg Muttitt, « The Sky’s Limit: Why the Paris Climate Goals Require a Managed Decline of Fossil Fuel Production », Oil Change International, septembre 2016, http://priceofoil.org/2016/09/22/the-skys-limit-report/ (en anglais).

*3 - Alex Doukas, Kate DeAngelis et Nicole Ghio, Talk is Cheap: How G20 Governments Are FinancingClimate Disaster,Oil Change International, Friends of the Earth U.S., Sierra Club et Bureau de politique européenne du WWF, juillet 2017, http://priceofoil.org/content/uploads/2017/07/talk_is_cheap_G20_report_J... (en anglais).

*4 - Whitley et coll., G7 fossil fuel subsidy scorecard.