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La ministre fédérale de l’environnement annonçait aujourd’hui une nouvelle règlementation des émissions de méthane dans le secteur du gaz et du pétrole au Canada. Cette règlementation était longuement attendue et découle d’un engagement pris lors de la visite de Président Obama en mars 2016. Cette nouvelle règlementation est également un engagement pris dans le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques en décembre dernier. La seule mesure dans le cadre pancanadien visant le secteur du gaz et du pétrole présentement. L’annonce d’aujourd’hui par contre, est décevante. Voici pourquoi.
Le secteur de la production du gaz et du pétrole est responsable de la plus grande partie des émissions de GES au Canada – soit 26 %. Ce secteur est également responsable de la plus grande croissance des GES au Canada. Le secteur de la production du pétrole et du gaz est le plus grand émetteur de méthane au Canada.
Le règlement viserait les installations pétrolières et gazières responsables de l’extraction, de la production, de la transformation et du transport du pétrole brut et du gaz naturel. Cela comprend les puits de pétrole et de gaz et les batteries de réservoirs, les usines de traitement du gaz naturel, les stations de compression et les pipelines associés. Le méthane est principalement le résultat de fuites des puits de pétrole et des stations de pompage, ainsi que de la pratique courante de simplement rejeter le méthane (le brûler) de façon volontaire et « contrôlée » dans l’atmosphère (émissions de torchage et émissions d’évacuation).
Il existe essentiellement deux stratégies pour réduire la croissance des GES du secteur de la production de gaz et de pétrole au Canada. On doit mettre fin à l’exploitation et au développement de nouveaux puits de pétrole, d’exploitation de gaz naturel et de nouveaux champs de sables bitumineux. Et on doit réduire les émissions des opérations pétrolières existantes. Réduire les émissions de méthane est présentement une des seules mesures disponible immédiatement pour réduire les émissions de GES de la production existante.
Originalement promis pour 2018, la ministre fédérale de l’Environnement choisit de retarder certains aspects du règlement jusqu’en 2020 et 2023, ce qui aura comme résultat d’ajouter 55Mt d’émissions de GES dans l’atmosphère. On manque donc une opportunité importante d’exiger que le secteur du gaz et du pétrole fasse sa juste part dans la lutte aux changements climatiques à compter de maintenant.
Cette règlementation relève du gros bon sens et doit être mise en œuvre le plus tôt possible.
Voici 10 raisons :
1. Le méthane est un puissant gaz à effet de serre. Sur une période de 20 ans, ses effets sur le réchauffement climatique sont 84 fois plus importants que ceux du dioxyde de carbone. Si, dans le Cadre pancanadien en matière de croissance propre et de changement climatique, le Canada souhaite combler l’écart en ce qui concerne ses objectifs d’émissions et respecter ses engagements internationaux pris dans le cadre de l’Accord de Paris, il doit affermir sa position et non pas jeter du lest à cet égard. La règlementation des émissions de méthane contribuera grandement à combler ce fossé.
2. Les émissions de méthane sont beaucoup plus importantes que ce que prétend l’industrie. Une récente étude révèle que les émissions de méthane sont nettement plus élevées que les quantités officiellement déclarées par Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), soit 60 % de plus en Alberta et 250 % de plus en Colombie-Britannique.
3. Réduire les émissions de méthane est l’un des moyens les moins coûteux de diminuer les émissions qui entraînent le changement climatique. Des données relevées aux États-Unis démontrent que lorsqu’on oblige les compagnies à inspecter leur équipement au moins quatre fois l’an, plusieurs fuites sont détectées et souvent facilement colmatées. Quant à l’équipement à l’origine de rejets volontaires de méthane — tel que les pompes et les régulateurs —, il peut être facilement remplacé par des appareils sans émissions d’évacuation.
4. Les émissions de méthane sont souvent accompagnées d’autres gaz encore plus toxiques, comme le benzène, un agent cancérigène connu. Il est primordial de protéger les citoyens canadiens contre les rejets de ces gaz toxiques provenant des installations gazières et pétrolières à proximité.
5. Du gaz qui fuit est du gaz perdu. Chaque année, l’industrie du méthane gazeux laisse littéralement partir en fumée suffisamment de gaz pour chauffer plus de 200 000 foyers en Alberta, soit une valeur sur le marché de 67,6 millions de dollars.
6. Les gouvernements canadiens sont privés d’importantes recettes. Lorsque les compagnies pétrolières et gazières ne s’efforcent pas de détecter les fuites de méthane, elles gaspillent une ressource publique. Les gouvernements se trouvent ainsi privés de redevances et de taxes.
7. Des recherches menées aux États-Unis ont conclu que la règlementation des émissions de méthane permettrait de créer de nombreux emplois qualifiés. Au Canada, la majorité de ces emplois seraient créés dans les secteurs où de nombreux travailleurs ont récemment été mis à pied.
8. Le Canada doit rattraper les États-Unis. À l’instar du président des États-Unis, l’industrie prône l’approche du « statu quo » pour le Canada, du moins pour les six prochaines années.
Le ministre des Ressources naturelles, Jim Carr, avait déclaré qu’en raison du repli du président américain, Donald Trump, l’imposition de règles sur les émissions de méthane aux compagnies pétrolières et gazières du Canada doit être reportée en 2023. Cette situation est tout à fait inacceptable. Notre gouvernement doit résister aux fortes pressions qu’exercent les compagnies pétrolières et gazières et agir dans le plus grand intérêt du Canada et des Canadiens en adoptant une règlementation stricte afin de réduire et éliminer les émissions de méthane. Comme le disait la ministre McKenna dans son annonce aujourd’hui, le Canada ne fait que rattraper la règlementation du méthane qui existe déjà dans plusieurs états américains, dont la Californie, Le Dakota du Nord et le Colorado.
9. La règlementation des émissions de méthane est la seule mesure du Plan pancanadien d’action sur le climat qui vise les compagnies pétrolières et gazières. Ces entreprises doivent assumer leurs responsabilités quant aux répercussions qu’elles entraînent : le secteur pétrolier et gazier constitue la plus importante source de pollution de carbone au Canada, en plus d’être le secteur qui connaît la croissance la plus rapide.
10. Les technologies existent déjà pour éliminer les fuites de méthane et il s’agit d’un mythe perpétré par l’industrie pétrolière que cette règlementation coutera des milliards de dollars. Comme l’expliquait récemment Audrey Mascarenhas, la PDG de la compagnie pétrolière Questor Technology Inc., cette compagnie a déjà mis en œuvre la technologie pour récupérer les émissions de méthane, au coût de moins de 1,70 $ la tonne de carbone!
Les détails de la règlementation seront rendus publics la semaine prochaine. Équiterre continuera d’exiger une mise en œuvre plus rapide afin de combler l’écart important causé par ces délais.
Ce blog est une adaptation du blog de Dale Marshall, directeur des programmes chez Environmental Defence.