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Ce matin en me levant, j’ai pris le taureau par les cornes. J’ai trouvé le budget fédéral que vient de déposer M. Flaherty et je me suis attaquée au troisième chapitre intitulé « Assurer le développement responsable des ressources, conserver le patrimoine naturel du Canada et investir dans l’infrastructure et les transports ». Super titre, alléchant, voyons voir. D’ailleurs ce titre a été passablement repris par les journaux. J’y ai lu par exemple « Le Canada investit dans les parcs nationaux ».
Dans un budget, les chiffres sont plus importants que la rhétorique qui les entoure. Voici les dépenses que j’ai trouvées dans le chapitre sur le développement des ressources pour 2014-2015 : Examen de projets de pipelines - 15 millions $; Appuyer les petites sociétés d’exploitation minières - 60 millions $. Donc l’aide pour l’extraction des ressources naturelles non-renouvelables est de 75 millions $. D’autre part le budget prévoit 1 million $ pour « soutenir les parcs nationaux du Canada ». Il y a également une ligne qui indique « Élargir l’aide fiscale pour la production d’énergie propre ». Malheureusement, le montant alloué est inférieur à 1 million $ et n’apparait donc pas en chiffre dans la colonne des montants alloués. La vision du Canada est cohérente depuis plusieurs années : la richesse se construit en exploitant les ressources naturelles. La question pour moi est bien sûr de savoir si ce développement est, tel qu’indiqué dans le budget, « responsable ».
Ça m’a fait penser à un article publié en 2012 par le professeur Geoffrey Heal de l’université Columbia à New York (1). Dans cet article M. Heal suggère que pour qu’un développement économique basé sur les ressources naturelles se fasse de façon durable, c'est-à-dire responsable, il faut que la richesse qui provient de l’exploitation du capital naturel serve à construire une autre sorte de capital, par exemple un capital financier ou intellectuel. L’article donne l’exemple de l’Alaska et de la Norvège, qui utilisent les revenus du pétrole pour créer des fonds d’investissements qui continueront à payer des dividendes après l’épuisement des puits de pétrole. Les Albertains se sont dotés de ce type de fonds, le Alberta Heritage Savings Trust Fund, une bonne idée.
En attendant, d’après ce que je comprends, le moteur du budget fédéral est l’impôt sur les revenus des particuliers, donc vous et moi. Notre argent est investi dans l’extraction des ressources naturelles et je ne vois pas dans le budget fédéral d’efforts pour compenser la destruction du capital naturel canadien par la construction d’une autre sorte de capital. Apparemment, le qualificatif « responsable » associé à cette exploitation ne bénéficie pas des largesses de l’État. Un coup de barre est essentiel.
(1) Source: Reflections—Defining and Measuring Sustainability, Review of Environmental Economics and Policy, vol. 6, 2012, pp. 147–163
Chroniqueuse invitée sur le blogue d’Équiterre, Catherine Potvin est professeure titulaire et chercheuse au département de biologie à l'Université McGill. Première femme à recevoir la médaille Miroslaw-Romanowski de la Société royale du Canada, elle est également fondatrice du laboratoire néo-tropical de l'Université McGill au Panama. Elle partage son temps entre le Québec et l’Amérique centrale, à tel point que le gouvernement du Panama l’a recrutée comme l'une de ses négociatrices à l'ONU sur le climat.