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Ça prenait un déclencheur. Plus conscient que la vague orange de la dernière élection fédérale. Plus rassembleur que le mouvement « Occupy », que plusieurs ont silencieusement approuvé, à défaut d'y participer. Depuis des années, inexorablement, les ressorts d'une très grande partie de la population québécoise ont été comprimés pour aujourd'hui se relâcher en une décharge sans précédent de mobilisations sociales.
Et comme un grand arc électrique, cette énergie cherche son point d'ancrage, son « ground ». Vers où sera-t-elle canalisée et où s'en va-t-elle? Quel sens donner aux centaines de milliers de Québécois qui prennent la rue, défient les lois et retrouvent le bonheur de l'action collective? Que voulons-nous, au fait?
Depuis hier se réunissent à Québec les représentants des associations étudiantes et les négociateurs gouvernementaux. Ils cherchent une solution à la crise étudiante - ce que souhaite tout le monde. Ce règlement est nécessaire, mais pas suffisant. Les raisins de la colère sont ailleurs et dépassent largement la seule question des frais de scolarité.
Les raisons de manifester sont multiples, mais pas incompatibles. On pourrait réaliser une fascinante recherche sociale seulement en décortiquant les slogans et les messages portés par les marcheurs des grandes manifestations des derniers mois.
Il y a bien entendu l'usure du pouvoir, qui alimente la grogne populaire. Un gouvernement tombe, victime de l'accumulation de petits gestes souvent symboliques, qu'une partie importante de la population en a assez d'encaisser.
Il y a aussi une solidarité incontestable que manifeste une partie de la population à l'endroit de la cause étudiante, notamment pour des raisons (souvent implicites) d'équité intergénérationnelle. Est-ce équitable de demander aux étudiants de payer leur « juste part » du financement des universités, alors qu'ils auront à payer plus que la leur pour soutenir les programmes sociaux dont bénéficieront leurs ainés?
Il y a évidemment la gifle démocratique que plusieurs ont très bien sentie à travers l'adoption de la Loi 78. Combien de gens se sont retrouvés dans les rues, la semaine dernière, en disant « je suis pour la hausse des frais de scolarité, mais contre les restrictions que je perçois aux libertés fondamentales »? Un consortium de groupes environnementaux et sociaux, dont Équiterre, conteste d'ailleurs cette loi.
Il y a aussi, pas très loin derrière tout ça, un sentiment chez plusieurs que les choses ne fonctionnent pas comme elles le devraient. Une sorte d'angoisse lancinante rattachée à la conduite du monde, qu'aura si bien révélée l'image forte du « nous sommes le 99% ». Oui, il y a une forte dose d'altermondialisme dans ce que nous exprimons dans les rues de nos quartiers et de nos villes, dans le sens de vouloir repenser les choses et de refuser l'ordre établi.
Ce qui rassemble ici ce sont les valeurs communes qui poussent des centaines de milliers de Québécois - et les millions qui les soutiennent - à ruer littéralement dans les brancards. Ces valeurs sont des valeurs de solidarité, très diffrentes des valeurs individualistes qu'on nous propose depuis plusieurs décennies.
Ce sont aussi des valeurs de responsabilité - individuelle et collective. Chaque manifestant à fait le choix d'assumer publiquement ses valeurs, son opinion et ses idées, au risque même de désobéir et de se faire arrêter. Chacun assume ses actes.
Mais ce mouvement, cette grande décharge sociale, doit mener quelque part. Arrêter là serait trop bête, en plus de ne rien régler sur le fond.
Qu'exprimons-nous? Que voulons-nous? Quel est notre « ground », notre prise d'ancrage à la terre? C'est le moment de commencer à y penser. Nos grandes institutions ne sont pas faites pour répondre à ces questions. Il faudra inventer d'autres véhicules et tenter d'avancer ensemble. Les Québécois ne partagent pas tous ces mêmes valeurs, ni ces mêmes inquiétudes. D'où l'importance de baliser les débats qui s'annoncent à l'aune de fortes valeurs de respect, d'accueil et de solidarité, d'autres valeurs qui doivent aussi être à la base de l'énergie sociale qui se déploie présentement au Québec.
Depuis hier se réunissent étudiants et représentants gouvernementaux pour tenter de régler la question de la hausse des frais de scolarité. Souhaitons un règlement acceptable et honorable pour tout le monde.
Mais pensons déjà aux suites. Il y a de l'électricité dans l'air. Trouvons comment en harnacher l'énergie et la canaliser.
Il y a tant de choses que nous pourrions faire, ensemble.
Photo: Édouard Plante-Fréchette, La Presse : http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/conflit-etudiant/201205/26/01...