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Le 21 juin prochain, la journée la plus longue de l’année, sera la Journée internationale de la lenteur.
Vous avez déjà entendu parler du slow living? C’est un mode de vie né en Ligurie, en Italie, qui met de l’avant une approche plus lente des aspects de notre vie quotidienne; en ont découlé le slow food (une alimentation goûteuse, réconfortante, naturelle et de qualité, qui a « poussé lentement » sur le territoire où elle est consommée, en opposition à l’agriculture industrielle et à l’actuel Partenariat Trans-Pacifique), les slow cities, le slow sex et le slow fashion. Bref, le fait d’aller lentement et de savourer.
Dans ce Ted Talk sur le slow living Carl Honore relate sa prise de conscience du phénomène, alors qu’il lit en vitesse une histoire à son fiston pour accélérer l’heure du coucher et courir derechef vaquer à ses occupations.
La quête de l’impossible
Aller lentement dans ce monde où tout est accéléré : Internet, les repas, les communications, les relations, le travail, les raisonnements. Toujours plus vite, toujours en faire plus en moins de temps.
Réaliser l’impossible. Un concept tellement in depuis quelques années, qui nous a même parfois fait rêver : « ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait », « rien n’est impossible », etc. Notre vie actuelle, le monde du travail en particulier, nous abreuve de ces clichés nourris au management nouveau, au juste-à-temps, où tout est remis sur le dos de l’employé; les réussites, mais aussi trop souvent, les échecs et l’ingratitude d’avoir à tout gérer lui-même. La gestion, se gérer : on assène même ces concepts des hautes études commerciales à nos enfants de 3 ans : gère-toi un peu, apprends à gérer tes émotions… Avouons-le, on ne peut pas s’autogérer quand on ne s’essuie même pas tout seul.
J’ai travaillé plusieurs années pour des agences et l’entreprise privée, où la charge et le nombre d’heures de travail, le peu de vacances (et la très mauvaise perception d’en prendre) sont pratiques courantes et même normalisées. J’ai ensuite fondé ma propre entreprise, croyant naïvement que j’allais être maitre de mon temps. Ha! La bonne blague! Bien que j’aie adoré mon expérience, je n’ai jamais autant travaillé, incapable de tracer la ligne entre le travail et le reste de ma vie. Puis, j’ai accepté ce poste dans une OBNL chère à mon cœur, me disant que j’allais enfin trouver dans cette organisation à échelle et à valeurs humaines un rythme de travail sain et une vie équilibrée. (Pfffff hehe hihih hahahahhhhh – je me tiens les côtes).
Aussi bien dire que depuis des années, je suis bien loin du slow living. J’inscris des notes à mon agenda à toute heure du jour pour ne pas oublier ci et ça, des notes pour le travail, des notes pour les rendez-vous, pour les courses, (le comble : une note pour méditer!). Note à moi-même : ne pas oublier de vivre.
Petit son de cloche
Pourtant, depuis des mois, une pensée s’insinue en moi, petite voix qui parvient parfois jusqu’à mon cerveau pourtant drogué au multi-tasking, à rétablir ses priorités aux 15 minutes, à tenter tant bien que mal de concilier travail-famille, à cavaler du matin jusqu’au soir. Cette petite voix me souffle : less is more. Elle me dit aussi de plus en plus souvent : à l’impossible, nul n’est tenu.
On a beau essayer de faire entrer deux journées de travail dans une, ça n’arrivera pas. Je l’ai expérimenté depuis les dernières années et tout ce que ça m’a donné, ce sont des nœuds dans le dos, des relations interpersonnelles de moins en moins signifiantes, un sentiment du devoir accompli quasi-inexistant, une langue de plus en plus pendante et une culpabilité galopante. Pourtant, j’ai l’immense chance d’aimer mon travail, le privilège d’œuvrer pour une cause qui fait profondément écho à mes valeurs, avec des collègues tous plus inspirants les uns que les autres. Mais le milieu communautaire n’échappe pas à cette course folle. Un mode de vie tellement répandu que la plupart des employés nient même être stressés ou débordés. Pris entre une mission qui les interpelle et un manque de ressources criant, financés en grande partie par des dons de particuliers desquels ils se sentent redevables, les employés de ces organismes redoublent d’ardeur et de vitesse au travail pour arriver à atteindre les objectifs, toujours plus nombreux, toujours plus grands - une courbe inversement proportionnelle au nombre d’embauches et de ressources financières. L’une met tous ses projets personnels de côté et laisse son travail envahir tout l’espace, l’autre trimballe son ordinateur portable tous les soirs, à vélo à la maison, juste au cas. Finalement elle travaille rarement, car trop crevée, mais culpabilise beaucoup de ne pas le faire. Quelques-unes sont joignables même à minuit, une autre a les mâchoires tellement crispées qu’elle en développe d’affreux maux de tête, tandis qu’une mange à peine et va jusqu’à passer la nuit au bureau pour boucler un gros dossier. Paaardoooon? Pire, une admiration sans bornes luit dans le regard de certains de ses collègues pour ce geste. Ne plus manger ni dormir, ce serait ça l’idéal à atteindre??
En fait, selon d’autres papes du sacro-saint management, il y aurait plutôt dans cette frénésie collective tous les ingrédients pour se taper un joli burn-out : des objectifs irréalistes avec peu de moyens pour les atteindre et tout le poids de la responsabilité sur nos épaules. Mais après tout, nous réussissons l’impossible jour après jour, pourquoi s’arrêter?
Mes exemples sont délibérément au féminin car on compte beaucoup de femmes dans ce milieu. Cela ne vous enlève rien, messieurs, c’est juste un fait. Elle gagnent des salaires assez bas, travaillent comme des acharnées, mais carburent aux valeurs et à l ‘« essentiel ».
L’essentiel ne serait-il pas de passer du temps de qualité avec nos enfants, de se décrisper les mâchoires pour rire un peu, de cesser de courir pour marcher ou s’arrêter, regarder le paysage, se parler? J’ai vu dans un article sur David Strayer, psychologue cognitif : « Comment ralentir le rythme? Il semble que la solution se trouve dans la nature ». Selon lui « le fait d'être dans la nature permet à notre cortex préfrontal, le centre de contrôle de notre cerveau, de ralentir et de se reposer, à la manière d'un muscle surmené ».
La lenteur, notre amie
Après ces constations, et des mois à courir au boulot aussi bien qu’à la maison en ayant l’impression de n’être « jamais assez » nulle part, j’ai décidé d’essayer quelque chose; j’allais apprivoiser la lenteur. Il m’a fallu repousser la petite pointe de culpabilité qui me chatouillait le sternum; aller lentement? J’allais certainement me faire juger, être vue comme une paresseuse, manquer de temps. J’ai plutôt découvert qu’en prenant le temps, je travaillais mieux, réfléchissais mieux, vivais mieux. Je me suis même permis de petites largesses : une séance de méditation un midi par semaine, aller travailler en vélo ou sortir plus tôt du métro pour marcher et humer l’air, prendre le temps de m’arrêter au bureau d’une collègue pour parler quelques minutes le matin, diner dans la cuisine commune au lieu de manger devant mon ordinateur pour rattraper le temps perdu, fermer mon téléphone pour la soirée. Ce « temps perdu à ne pas travailler », qui est en fait le sel même de ma vie : mon temps avec mes enfants, mon amoureux, mes amis, mes collègues. Je ne suis pas en train de dire que l’exercice est facile. Diable non, c’est un combat sans cesse renouvelé. Mais les jours où j’y parviens, j’ai l’impression de commencer à vivre dans le bon espace-temps, que tout tombe à la bonne place dans ma vie. J’arrive à la maison le soir beaucoup moins stressée, légère, plus satisfaite de ma journée. Et à la maison, les weekends, c’est : un projet par jour maximum. Ou pas de projet autre que de passer un bon moment en famille.
Car cette course (à la performance, au profit, à faire plus avec moins et en moins de temps) est la même qui nous mène à notre perte, en tant qu’individus mais aussi en tant que sociétés. À l’image de notre planète et de ses ressources, le nombre d’heures dans nos journées n’est pas infini.
Alors ce 21 juin, et tous les jours après : vivons lentement, et prenons soin de notre nature, c’est-à dire tant de nos ressources naturelles qu’humaines, pour notre bien, pour celui de notre planète et pour nos enfants, les adultes de demain.