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J'ai un climatiseur au sous-sol. Que je n'ai pas installé. Pas encore.
Je résiste. J'essaie tous les trucs écolos dans le grand livre des trucs écolos : je tire les rideaux et ferme les fenêtres le jour, puis ouvre en grand le soir et la nuit. Ça aide. Mais comme je travaille de la maison, c'est plutôt pénible, même en prenant quelques douches froides de temps en temps.
Je me dis que si tout le monde avait la climatisation, nous aurions certainement besoin d'autres barrages pour répondre à la pointe de consommation estivale. Je me dis aussi que si toute la planète consommait autant d'énergie que moi, on peut dire bye bye à tous nos efforts de lutte aux changements climatiques.
Bref, je m'entête. Et je me dis que la prochaine fois que je refais le toît, je me débarasse de la feuille de goudron noir qui le recouvre. J'y mettrai de petits caillous blancs.
D'ici là, je pourrais toujours descendre au sous-sol et installer la clim. J'ai le choix. J'ai les moyens financiers qui me permettent ce choix. J'ai aussi la chance d'habiter dans un coin du monde où l'énergie est abondante, fiable et très bon marché.
En Irak, où les températures dépassent les 50 degrés (50 degrés!), le ministre de l'électricité vient de remettre sa démission en raison de la grogne populaire : en pleine canicule, plusieurs villes n'ont de courant que durant quelques heures par jour. Situation qui est loin d'être unique dans les pays en développement.
On escamote presque toujours les aspects de justice sociale liés aux questions d'énergie et d'environnement. Quand il fait chaud comme ces jours-ci, au Québec comme ailleurs, il y a ceux et celles qui en souffrent un peu, d'autres beaucoup, d'autres très beaucoup, et encore d'autres qui suivent tout cela à la télé ou sur Internet, bien au frais.
Question, souvent, de niveau de revenus. On est « energy rich » ou « energy poor ». On est aussi, tout simplement, riches ou pauvres.
Quand nos voitures sont climatisées, nos bureaux climatisés, nos maisons climatisées et les restos que nous fréquentons climatisés, et qu'on a 200 pieds de terrain devant un lac dans les Laurentides, on tend à oublier ce que ça fait sur ceux et celles qui n'ont pas cette chance : les travailleurs manuels (vous auriez dû voir passer les éboueurs hier dans mon quartier: chapeau, les gars !), les agriculteurs, les personnes âgées pauvres et isolées ou les familles pauvres tout court. Et les centaines de milliers de Québécois qui s'entassent dans les grandes boîtes rectangulaires en métal sur quatre roues sans climatisation de nos sociétés de transport.
En 2003, en France seulement, on déplorait la mort de 15 000 personnes à la suite d'une épouvantable vague de chaleur qui a duré des semaines. La plupart étaient des personnes seules, âgées et pauvres. Elles avaient littéralement étouffé dans leur appartement. Ça en dit long sur l'isolement de ces personnes et sur la solidarité sociale.
J'y pense souvent quand je lis les avis de santé publique indiquant les catégories de personnes à risque au cours des épisodes de smog et de canicule: personnes âgées et jeunes enfants, travailleurs à l'extérieur, personnes atteintes de maladies respiratoires et cardiaques. Ça fait pas mal de monde. Si vous en connaissez, prenez le temps de prendre de leurs nouvelles, et de vous assurer que tout va bien.
Je ne veux pas généraliser, mais je pense souvent au « disconnect » entre riches et pauvres quand j'assiste aux grandes conférences internationales sur le climat. Je me dis que ceux et celles qui négocient au nom de leur pays ne souffrent probablement pas directement des impacts du réchauffement planétaire. Et n'en souffriront probablement jamais, du moins physiquement. Ils ont certainement les moyens d'y échapper. Ça expliquerait en partie pourquoi les choses traînent tant en longueur.
Le Met Office de Grande-Bretagne indique que les températures atteintes lors de la grande canicule de 2003 en Europe deviendront la norme d'ici 2030, si rien n'est fait pour freiner le réchauffement planétaire. Et freiner les changements climatiques passent aussi par une réduction de la consommation d'énergie.
Alors, je la sors ma clim ou non?