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Onze personnalités politiques et économiques ont récemment engagé leur crédibilité derrière un Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole, dont d'anciens politiciens et des leaders d'affaires en exercice. Leurs propos rappellent ceux du Manifeste des Lucides, d'il y a quelques années, mais en version très allégée et presque caricaturale.
Le Québec est aux prises avec des défis économiques et démographiques importants et les « retombées économiques majeures » tirées de l'exploitation du pétrole québécois permettraient d'y faire face, disent-ils.
Pour eux, le salut économique passe maintenant par le pétrole (hier c'était le gaz de shale, puis le secteur minier), en escamotant le fait que personne n'a encore démontré la présence de réserves économiquement exploitables sur notre territoire, ni à fortiori chiffré les retombées potentielles d'une éventuelle exploitation.
Et par-delà l'extraordinaire capacité des signataires du Manifeste de mettre la charrue devant les boeufs et de prendre leurs rêves pour des réalités, le texte met non seulement à nu un étonnant manque de rigueur, mais également l'extrême pauvreté de la pensée économique de ses auteurs.
Au-delà de la pensée magique, l'économie réelle
L'économie réelle du Québec repose sur un certains nombre de piliers, certains solides, d'autres plus fragilisés, au gré des transformations de l'environnement international.
Dans un contexte de forte concurrence, la productivité des entreprises et de la main d'oeuvre, notre capacité d'innover et celle de créer des entreprises qui s'inséreront au sein de chaînes de valeurs mondialisées sont davantage garantes de notre santé économique à long terme, que le fait de miser sur l'espoir de se réveiller un matin assis sur une bulle d'hydrocarbures.
Si on reste strictement sur le terrain de l'économie « classique », il apparaît beaucoup plus urgent de redonner un élan à nos exportations manufacturières et de stimuler les investissements productifs des entreprises québécoises, notamment en matière de nouvelles technologies et d'automatisation. Ou encore de se pencher sur la compétitivité encore moindre des PME québécoises par rapport à leurs concurrents, ou leur nombre encore trop faible.
« Nous sommes entrés dans la troisième révolution industrielle », note à juste titre la nouvelle Politique industrielle du Québec. « [...] Nous vivons (...) une transition qui a de profondes répercussions sur les modes de production et la compétitivité des entreprises. De plus, elles font face à une concurrence internationale impitoyable, dont seules les plus productives, les plus innovatrices et les plus flexibles peuvent sortir gagnantes ».
Cette troisième phase du processus d'industrialisation exige que nos entreprises se modernisent, adoptent de nouvelles technologies et de nouvelles façons de faire. Face à la hausse tendancielle des coûts de l'énergie et des matières premières, « [l]es entreprises de tous les secteurs et de toutes les régions doivent innover et faire des gains importants de productivité, tout en se positionnant sur la scène mondiale avec une commercialisation efficace », poursuit la Politique industrielle du gouvernement Marois, qui mise en particulier sur l'économie verte, l'électrification des transports et la mise en valeur de nos surplus d'électricité sobre en carbone.
On voit mal comment une éventuelle - et lointaine - exploitation pétrolière, aux retombées économiques et environnementales plus qu'incertaines, viendraient soutenir l'économie réelle et appuyer nos entreprises à faire leur place sur les marchés internationaux.
L'appel à l'exploitation du pétrole doit être considéré comme il est : un enjeu périphérique qui détourne l'attention des enjeux fondamentaux de notre économie, au profit d'un tout petit nombre d'individus et d'entreprises qui souhaitent embrigader la société québécoise derrière leurs investissements hautement spéculatifs.
Le texte du Manifeste pro-pétrole révèle également l'incapacité pour ses auteurs d'intégrer les enjeux environnementaux dans leur vision de développement économique. À les lire et les écouter, tout projet de développement semble digne d'être soutenu de facto, avant même d'en connaître les impacts sur l'environnement (et, dans le cas du pétrole, avant même d'en connaître les impacts économiques et sur le trésor public).
Au-delà des mantras anesthésiants du type « l'application des plus hauts standards environnementaux », dont on ne sait strictement rien mais qui donnent bonne conscience, on devrait s'attendre à ce que ceux et celles qui souhaitent imposer une certaine vision de l'avenir économique du Québec soient capables de parler intelligemment d'environnement sur la scène publique.
Au-delà de la polarisation
La question du pétrole est polarisante. Je ne crois pas qu'il faille s'en désoler. Certaines questions ne sont pas de nature à recueillir une acceptabilité sociale forte.
Comme écologiste, je ne pourrai jamais soutenir de projets qui favorisent une des principales sources d'émissions de gaz à effet de serre. Mais comme écologiste et comme Québécois, je me préoccupe aussi, comme tous ceux et celles pour qui l'environnement est important, de l'avenir économique de mon coin de planète.
La très grande majorité des écologistes est tout à fait disposée à entamer une discussion constructive sur le type d'économie que nous voulons. Peut-être sortiraient-ils de surprenants consensus d'une telle discussion ?
Les écologistes n'ont rien contre une économie québécoise efficiente, concurrentielle, solidaire et à moindre impact sur l'environnement.
Reste à en préciser les contours.
Chroniqueur invité sur le site d’Équiterre, l’auteur enseigne à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et est également Fellow au Centre d'études et de recherches internationales de Montréal (CÉRIUM). Il est conseiller principal chez Copticom, où il se consacre aux dossiers d’énergie, de transports et d’économie verte.