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La résistance aux carburants fossiles, premiers responsables de la destruction du climat, se raidit partout dans le monde. Des promoteurs habitués à faire la pluie et le beau temps voient leurs projets ralentis ou bloqués les uns après les autres, en Australie, au Canada, aux États-Unis et ailleurs. Deux avenues s'offrent à une industrie dont l'obsolescence est programmée : opérer une transition vers les énergies renouvelables, ou déclarer une guerre sans merci - mais perdue d'avance - à tous ceux et celles qui luttent à éviter une catastrophe climatique. Aux promoteurs maintenant de dire clairement laquelle des voies ils ont choisi d'emprunter.
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« Nous perdons la guerre », a déclaré en début de semaine le président de Questerre Energy de Calgary, Michael Binnion, aussi président de l'Association pétrolière et gazière du Québec. « Nous n'avons plus les conditions gagnantes que nous avons pris pour acquises au cours des 100 dernières années. L'environnement politique ne nous est plus favorable ».
L'affirmation peut sembler paradoxale, vue l'extraordinaire capacité de l'industrie de s'inféoder des gouvernements entiers et de changer les règles du jeu à son avantage.
Karel Mayrand, dans son dernier billet sur le site de la Fondation David Suzuki, fait ainsi remarquer avec justesse que l'industrie pétrolière a réussi à aligner la politique énergétique canadienne sur ses intérêts, à nous retirer du Protocole de Kyoto et à faire sauter les mécanismes fédéraux d'évaluation environnementale.
Dans le contexte actuel de remise en question des carburants fossiles, pour cause de destruction de la vie sur Terre, l'industrie ne peut justement plus se maintenir qu'en tentant de démanteler les garde-fous démocratiques mis en place pour assurer que le bien commun ne prévale sur ses propres intérêts.
C'est d'ailleurs exactement ce qu'elle a réussi à faire à Edmonton, Ottawa, Canberra, Moscou et même dans plusieurs officines gouvernementales à Québec.
Mais ce n'est pas suffisant, et la pression sur les promoteurs gaziers, pétroliers et charbonniers augmente sans cesse.
La pression monte sur l'industrie
Les appels se multiplient de la part de la Banque mondiale, du GIEC, de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) pour se débarrasser le plus rapidement possible des carburants fossiles (charbon, pétrole et gaz), au profit des énergies alternatives et de l'efficacité énergétique. « Nous le devons à nos économies, à nos citoyens et à nos enfants », plaidait il y a quelques semaines la Directrice exécutive de l'AIE, Maria van der Hoeven.
Pour éviter un monde rendu invivable par les changements climatiques, l'Agence rappelle que les deux tiers des réserves prouvées de pétrole, de charbon et de gaz doivent demeurer dans le sol, inexploitées.
Le message commence à être entendu, et ce n'est pas celui que l'industrie veut entendre.
- Suivant l'exemple de plusieurs pays européens, l'Administration Obama vient de retirer le soutien financier des États-Unis à la construction de centrales au charbon dans les pays en développement. L'accès à l'énergie dans ces pays devra de plus en plus passer par les énergies renouvelables.
- L'industrie du charbon fait l'objet de fortes contestations citoyennes en Australie, voit ses centrales déclassées jusqu'aux dernières en Ontario et fait face à un environnement réglementaire de plus en plus étouffant en Amérique du Nord.
- Les villes côtières et industrielles chinoises, aux prises avec les pires épisodes de pollution de l'air depuis les smogs chimiques londoniens d'après-guerre, exigent des mesures encore plus sévères de réduction de l'utilisation du charbon, au profit du solaire, de l'hydroélectricité et de l'éolien.
- L'industrie pétrolière et gazière doit se battre - avec succès, pour l'instant - contre les appels à mettre fin aux subventions qui l'avantagent, évaluées à plusieurs centaines de milliards de dollars un peu partout dans le monde.
- L'opposition se raidit contre l'exploitation des gaz de shale, sur notre continent comme en Europe.
- Les grands projets d'oléoducs sont bloqués à Washington et à Victoria, poussant les pétrolières à tenter d'enfoncer la porte du Québec.
« Il nous est plus facile de faire affaire en Irak, au Kurdistan et en Afrique », se plaignent maintenant des experts de l'industrie.
Et pour cause : si la situation semble encore favorable aux promoteurs dans des pays comme l'Angola, la Kazakstan et le Brunei, c'est justement parce qu'on y trouve des États faibles, ou encore des sociétés civiles atrophiées. Des terreaux idéals : des gouvernements dociles et des sociétés civiles qui ferment leur gueule (ou on leur ferme de force).
Les choix de l'industrie : se transformer ou se battre
L'industrie des hydrocarbures est la principale responsable des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce qui veut dire que lutter avec succès contre le dérèglement du climat exige qu'elle ferme boutique d'ici quelques décennies, en commençant dès aujourd'hui à faire ses boîtes.
Le président de l'Association pétrolière et gazière du Québec, Michael Binnion, a beau plaider que son industrie est là pour exploiter les ressources qu'elle trouve, son plan d'affaire ne tient pas la route.
Devant la détérioration de l'environnement d'affaires de son industrie, il n'a rien à proposer de plus que le « business as usual ». Ailleurs dans le monde, ses collègues font la même chose, en plus de se battre contre les sociétés civiles et les gouvermements qui veulent contrer les changements climatiques et réduire les émissions de GES.
Même les investisseurs privés commencent à s'en inquiéter. Un groupe de 70 d'entre eux, représentant 3 billions de dollars, vient tout juste d'écrire à une quarantaine des plus importantes compagnies pétrolières au monde pour exiger qu'elles indiquent comment elles comptent composer avec la question des changements climatiques.
« Nous voulons savoir quelles sont vos options pour gérer ces risques : réduire l'intensité-carbone de vos actifs, vous départir de vos investissements les plus polluants, ou diversifier vos activités vers des sources d'énergie à faibles émissions ? », demande le gestionnaire d'un fonds de pension de 161 milliards de dollars de l'État de New York.
C'est ce qu'on appelle viser là où ça fait mal.
À l'industrie et à ses représentants de répondre à la question et de nous dire clairement comment elle entend se comporter à partir de maintenant.
Soit vous commencez dès maintenant à désinvestir dans l'exploitation des hydrocarbures et à vous diversifier dans d'autres domaines d'activités, comme les énergies renouvelables, soit vous déclarez la guerre aux sociétés civiles et aux gouvernements qui veulent éviter la catastrophe climatique.
Que choisissez-vous, Monsieur Binnion ?