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La mouvance environnementale bouscule les intérêts économiques dont le core business consiste à prospecter, extraire, transporter, raffiner et vendre des carburants fossiles, causes premières du dérèglement du climat. Afin de justifier des projets néfastes pour l’environnement mondial, certains se donnent le mandat de les draper dans une conception complaisante du développement durable. Au point où, à suivre une certaine logique un peu tordue, polluer davantage, c’est bon pour la planète.
Des déclarations récentes de représentants du milieu des affaires indiquent que plusieurs en ont soupé de devoir composer avec un discours environnemental qu’ils ne contrôlent pas. Ceci démontre que la mouvance écologiste est perçue comme une force politique influente (ce qui devrait en rassurer plus d’un sur l’impact réel du mouvement). Les actuelles consultations sur la politique énergétique du Québec leur donnent l’occasion de ventiler plusieurs frustrations.
La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) dénonçait ainsi, il y a quelques jours, les assauts que subit le secteur énergétique québécois en raison du « syndrome pas dans ma cour et des moratoires systématiquement réclamés pas les opposants professionnels ». « Le développement durable, affirmait Françoise Bertrand, présidente directrice-générale de la FCCQ, implique, par définition, qu’il y ait du développement. La protection de l’environnement est fondamentale, mais elle ne peut se faire à coup de moratoires et d’immobilisme ».
En clair, les projets énergétiques, quels qu’ils soient, respecteraient toujours les principes du « développement durable », c’est à dire les principes définis par leurs promoteurs. Comme argument circulaire, difficile de faire mieux.
Pour la FCCQ, la protection de l’environnement serait « fondamentale », mais pas au point de dire non à un projet qui pourrait la compromettre. Ceci donne une bonne idée des profondes fondations de la profession de foi de l’organisme envers l’environnement.
Empoisonner l’atmosphère, un geste responsable de développement durable ?
Le réputé scientifique Mark Jaccard, de l’Université Simon Fraser, décrivait récemment ce double discours comme digne de la Novlangue (Doublespeak) de George Orwell (1). À suivre la logique de certains, il faudrait probablement augmenter la pollution carbonique, en multipliant les projets d’oléoducs, de forage et d’extraction de pétrole et de gaz, pour mieux protéger l’environnement.
Regardons les faits : l’exploitation des énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz naturel – compte pour 60% des émissions mondiales de gaz à effet de serre (2). Nous en émettons 90 millions de tonnes dans l’atmosphère chaque jour (3). Ces émissions détruisent le climat que nous connaissons, et sur lequel repose les écosystèmes qui soutiennent la vie sur Terre. Les grandes agences internationales, des Nations Unies au G20, en passant par l’OCDE et la grande majorité des scientifiques du monde, indiquent qu’il faut réduire maintenant et drastiquement, l’utilisation des carburants fossiles. Les écologistes ne font que s’appuyer sur ces grands constats.
On peine à voir où logeraient dans ce contexte les projets d’oléoducs, de gaz de schiste, d’augmentation de la production des sables bitumineux et l’éventuelle exploitation de pétrole au Québec qui ne feraient qu'étirer dans le temps tout un système énergétique dont il faut se débarrasser au plus vite.
L'abandon des carburants fossiles heurte les entreprises qui les exploitent, mais profite à d’autres qui offrent des solutions de rechange. L’argent que perdront les pétrolières sera compensé par la création de richesse et d’emplois reliée aux énergies propres, aux mesures d’efficacité énergétique, aux manufacturiers de transports collectifs, aux transports électriques et aux technologies propres. Une transition rapide nous donnera une chance d’éviter la catastrophe climatique. Pour cela, il faudra que plusieurs arrêtent de s’accrocher au passé pour mieux embrasser l’avenir.
À l’ère des changements climatiques, le double discours de certains milieux d’affaires québécois ne pourra pas tenir éternellement et devient même de plus en plus gênant pour ceux et celles qui le soutiennent.
On ne peut du même souffle faire la promotion des principales sources de la destruction de ce que l’on prétend vouloir protéger sans que cela ne finisse par miner sa propre crédibilité.
Chroniqueur invité sur le site d'Equiterre, l'auteur enseigne à l'Ecole de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke et est également Fellow au Centre d'études et de recherches internationales de Montréal (CÉRIUM). Il est conseiller principal chez Copticom où il se consacre aux dossiers d'énergie, de transports et d'économie verte.
Sources et notes:
(1) http://www.vancouversun.com/business/Opinion+world+carbon+doublespeak/8780477/story.html
(2) CO2 Emissions from Fuel Combustion Highlights, 2012 Edition, International Energy Agency
(3) http://www.huffingtonpost.com/al-gore/carbon-dioxide-400-parts-per-million_b_3253361.html