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Opinion  •  4 min

Pourquoi se battre ?

Publié le 

par :  Hugo Séguin Chroniqueur invité Blog - Hugo Seguin

« Et même si c’est trop tard, je préfère me battre. Ça ne donne rien de bon de dire qu’il est trop tard », affirmait lundi dernier au Devoir le grand environnementaliste et scientifique David Suzuki.

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Je quitte dans quelques heures pour ma 10e Conférence de négociations internationales sur le climat, en Pologne. Les nouvelles ne sont pas bonnes.

Les émissions de gaz à effet de serre augmentent toujours et dépassent les prévisions. La faible volonté politique de la communauté internationale nous conduit tout droit vers un monde dévasté par les sécheresses, les pénuries d'eau, l'effondrement des écosystèmes et la montée du niveau de la mer.

De moins en moins d'experts croient aujourd'hui que l'Humanité réussira à éviter un dérèglement incontrôlable du climat. Il est probablement trop tard pour cela.

Il y a quelques années, l'animateur Benoît Dutrizac m'avait demandé en ondes si je n'avais pas le goût de tout lâcher. Les négociations climatiques internationales ne vont nulle part, la situation empire dans une relative indifférence. Pourquoi s'entêter ?

Je lui avais répondu que nous étions condamnés à nous battre jusqu'à ce qu'on solutionne le problème, qui ne disparaîtra pas parce qu'on ferme les yeux très fort et par une poussée de pensée magique.

Mais je ne répondais pas vraiment à sa question : qu'est-ce qui fait que des individus, malgré tout, continuent à discuter, analyser, informer, convaincre, dénoncer, réfléchir, critiquer, applaudir et à encourager l'action, sous toutes ses formes, dans la lutte aux changements climatiques et pour une société plus juste et plus solidaire ?

La question vaut pour l'analyste environnemental qui termine un rapport, pour une ministre qui exige un plan climat crédible, un employé d'une grande boîte qui insiste pour que son employeur encourage les transports collectifs ou une vétérinaire qui inculque des valeurs d'ouverture, de solidarité et de respect pour l'environnement à ses enfants.

Tous et toutes, nous combattons avec les moyens du bord, à notre niveau, et nous avons conscience de faire partie d'un effort planétaire qui doit se poursuivre et s'amplifier.

Mais pourquoi le faisons-nous ?

Les raisons de nous battre

Au risque de trop simplifier, je crois que nous nous battons pour une poignée de raisons essentielles.

On se bat parce qu'on a raison de se battre : la Terre se réchauffe, le climat se dérègle, et les activités industrielles en sont responsables.

On se bat pour des changements parce que c'est dans notre intérêt collectif de nous battre, parce que nous n'avons qu'une seule planète, dont les équilibres climatiques délicats nous permettent d'y vivre.

On se lève par sens du devoir, par solidarité. Parce qu'on croit qu'une des raisons de notre passage sur Terre est d'aider son prochain plutôt que de se replier sur soi et pelleter les problèmes aux autres.

On s'insurge parce que toutes nos valeurs morales et éthiques nous appellent à nous opposer à un univers mené par un individualisme du type « au plus fort la poche, après moi le déluge ». Parce qu'il nous est intolérable d'assister sans rien dire à notre autodestruction qui enrichit effrontément une infime minorité qui se moque du reste.

On se bat aussi parce qu'on pense à nos enfants, et à ceux des autres.

On se bat surtout parce que les enjeux interpellent notre conception de ce qui est bien, et de ce qui est mal.  Et parce que ne rien faire serait une insulte à qui nous sommes comme individus et comme collectivité. 

Varsovie, en novembre

Dès lundi prochain, je renouerai avec l'intense frustration d'assister à des négociations internationales qui font du surplace, présidées par un gouvernement polonais à la solde des intérêts de l'industrie du charbon.

Le front international est figé. Mais dans la lutte aux changements climatiques, il y en a d'autres.

À Varsovie, je renouerai aussi avec des milliers de personnes, des militants, des scientifiques et des chercheurs, des fonctionnaires et des négociateurs, des délégués de groupes jeunesse et des entrepreneurs qui sont là pour échanger et travailler ensemble aux solutions qu'ils mettent en place, partout dans le monde.

Le combat se poursuit sur d'autres fronts.

Celui de l'économie verte et de la transition vers les énergies renouvelables.

Celui des gouvernements, des villes et des collectivités qui passent à l'action, en Asie, en Europe et même en Amérique du Nord.

Et celui de l'action citoyenne contre les carburants fossiles et pour les transports collectifs, les énergies renouvelables, une économie plus solidaire et une société plus inclusive.

Nous finirons par gagner. Nous réussirons à changer suffisamment pour au moins arrêter d'empirer la situation. Et limiter les dégats.

Mais au final, ces derniers seront sans doute considérables. Et permanents.

En ce sens, il est trop tard pour penser que rien de grave ne va arriver.

Nous entrons dans un monde d'extinction des espèces et d'effondrement d'écosystèmes entiers. Un monde où il y aura davantage de catastrophes climatiques de type Sandy, à New York, ou Katrina, à la Nouvelle-Orléans. De sécheresses à répétition au Pakistan, en Russie et en Autralie. D'épisodes de smog en Asie. Des enjeux d'accès à l'eau potable et des enjeux agricoles importants.

Des centaines de millions de personnes verront leur vie menacée et demanderont de l'aide. Peut-être que ce sera nous.

Dans le monde plus dur qui se pointe pour nous et ceux et celles qui nous suivent, nous aurons davantage besoin des valeurs de solidarité, de devoir et d'altruisme qui sont les nôtres.

Raison de plus pour les faire prévaloir, en continuant à nous battre, comme David Suzuki, et des millions d'autres.