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Les compagnies pétrolières ont le Québec dans leur mire. Incapables de faire approuver de grands projets d’oléoducs ailleurs en Amérique du Nord, elles comptent sur la passivité du gouvernement du Québec pour faire transiter ici, avec tous les risques que cela implique, l’équivalent de la production actuelle de pétrole bitumineux de l’Alberta. Devant le désintérêt, sinon la complicité active, du gouvernement Marois, un premier projet, celui de la compagnie Enbridge, risque de voir le jour d’ici quelques mois.
Lorsque la compagnie Enbridge s’est présentée en Colombie-Britannique avec son projet Northern Gateway, elle a dû faire face à une Première ministre tough, à l’écoute de sa population et surtout des intérêts de sa province.
« Au final, ce projet ne peut aller de l’avant que s’il obtient l’autorisation de la population [social license]. Cette autorisation ne peut venir que des citoyens de la Colombie-Britannique, et c’est eux que je représente comme Première ministre », déclarait alors avec force Christy Clark. « Il n’y aura pas de pipeline si nous n’en voulons pas », concluait-elle.
La province s’est inscrite comme intervenant aux audiences de l’Office national de l’Énergie (ONÉ) et y a fait valoir ses préoccupations. Christy Clark a clairement fait connaitre ses conditions à sa collègue albertaine, Alison Redford. Bref, elle a pris le dossier à bras le corps, comme il se doit.
Et si l’ONÉ et le gouvernement fédéral décident de passer outre la volonté des Britanno-Colombiens ? « Que nous soyons pour ou contre le pipeline, nous combattrons ensemble le gouvernement fédéral si celui-ci décide de s’immiscer dans les affaires de la Colombie-Britannique sans notre consentement » .
Dans la défense des intérêts de sa province dans un dossier complexe qui nécessite un fort niveau de leadership et une vision claire, la Première ministre du Québec, Pauline Marois, pourtant sensée incarner la « gouvernance souverainiste », ne souffre pas la comparaison avec son homologue Christy Clark. En tout cas, pas dans le dossier du renversement de Ligne 9b d’Enbridge. Et tout indique qu’il en sera de même dans celui d’Énergie Est de TransCanada.
Le gouvernement Marois ne s’est même pas donné la peine, comme l’a fait celui de la Colombie-Britannique, de faire valoir les intérêts du Québec auprès de l’Office. Ce sera à l’ONÉ et au gouvernement fédéral, en définitive, de déterminer ce qui constitue les intérêts du Québec dans ce dossier.
La plaidoirie finale du gouvernement du Québec auprès de l’Office, déposée le 3 octobre, tient en quelques lignes : le projet comporte des avantages économiques ; il faut que la sécurité des Québécois et de l’environnement soit prise en compte dans la décision finale. C’est tout.
Le représentant du Procureur général du Québec y indique que le gouvernement du Québec tiendra des consultations « cet automne », au sortir desquelles il fera connaitre « les conditions qui devront être prises en compte et qui rendront souhaitable la réalisation du projet ». Mais il est trop tard pour cela. Les audiences de l’Office se terminent cette fin de semaine.
De plus, le gouvernement compte très certainement sur le déclenchement d’élections générales dans quelques semaines pour faire oublier son engagement.
À moins de nous annoncer la tenue des fameuses consultations d’ici quelques heures.
La société civile défend les intérêts du Québec, en lieu et place du gouvernement
Pour soulever les interrogations et les préoccupations légitimes à l’endroit du projet, le gouvernement Marois - sous le silence approbateur, il est vrai, du Parti libéral et de la CAQ – a donc décidé de laisser les villes, les agriculteurs, les autochtones, les gens d’affaires, les groupes de défense de l’environnement ainsi que les citoyens situés le long du parcours de l’oléoduc se débrouiller tout seuls.
Pourtant, du point de vue des intérêts du Québec, les enjeux ne manquent pas. Devant le bilan lamentable d’Enbridge en matière de gestion des enjeux sécuritaires, la Ville de Montréal s’inquiète avec raison pour la sécurité de ses sources de captage d’eau en cas d’accident .
Des municipalités et des citoyens situés en bordure du parcours de l’oléoduc demandent des garanties à Enbridge. Des experts du Goodman Group s’interrogent sur la capacité de la compagnie de faire face financièrement à un nouveau déversement du type de celui de Marshall, en 2010, qui lui a déjà coûté plus de 1G$ .
Au niveau économique, on est en droit de se demander qu’elles seront les retombées réelles du projet pour le secteur pétrochimique québécois et pour l’emploi. Les analyses critiques sont laissées aux groupes environnementaux, appuyés financièrement par l’Office, qui ont dû solliciter bien souvent l’avis d’experts internationaux .
Au niveau plus large des efforts de lutte aux changements climatiques, le gouvernement Marois ne semble avoir rien à dire non plus d’un projet qui contribuera à augmenter les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Compte tenu que ce gouvernement ne s’est encore donné aucun plan de lutte aux changements climatiques, on peut se demander s’il prend même cet enjeu au sérieux.
Des consultations publiques « québécoises » ? Une promesse que le gouvernement Marois n’a aucune intention de tenir
Le ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, a déjà déclaré très clairement qu’il n’a pas besoin du feu vert du gouvernement du Québec pour que le projet d’Enbridge soit autorisé.
Au sortir d’une réunion du Conseil des ministres en décembre dernier - au cours de laquelle on peut présumer que le dossier Enbridge a fait l’objet d’une discussion - le ministre québécois Yves-François Blanchet s’est senti autorisé à bomber le torse devant le gouvernement fédéral : « Je me demande jusqu'à quel point le fédéral peut s'amuser à se foutre de ce qu'on pense au Québec», a rétorqué M. Blanchet, promettant la mise en place d’un mécanisme de consultations publiques pour permettre aux Québécois de s’exprimer sur le projet. « On va se donner les outils pour faire l’exercice », disait-il.
Dix mois plus tard, cette promesse est restée lettre morte.
Le gouvernement Marois n’a manifestement aucune intention d’y donner suite.
Une telle consultation aurait permis de prendre le pouls des citoyens et des associations, et d’informer une position gouvernementale sur la question. Position que le gouvernement aurait été tout à fait légitimé de faire valoir auprès de l’ONÉ et des autres intervenants du reste du Canada.
Mais il est trop tard pour ça.
Dans quelques semaines, le gouvernement Marois nous plongera vraisemblablement en élections, au sortir de quoi le Québec sera mis devant le fait accompli d'une décision de l’Office, selon toute probabilité favorable, assortie de plus ou moins de conditions techniques.
Dans ce dossier, le gouvernement Marois nous a mené en bateau, en plus de laisser à un autre ordre de gouvernement le soin de déterminer ce qui bon pour le Québec.
Chroniqueur invité sur le site d’Équiterre, l’auteur enseigne à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et est également Fellow au Centre d'études et de recherches internationales de Montréal (CÉRIUM). Il est conseiller principal chez Copticom, où il se consacre aux dossiers d’énergie, de transports et d’économie verte.