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Opinion  •  3 min

Quand on sous-traite les fonctions de premier ministre du Québec

Publié le 

par :  Hugo Séguin Blog - Lucien Bouchard

Côté pointure, difficile de faire mieux. L'Association pétrolière et gazière du Québec a frappé fort hier en remplaçant formellement André Caillé par Lucien Bouchard à sa présidence. Que l'industrie cherche à mettre toutes les chances de son côté, cela semble évident. Comprendre le sens à donner à cette nomination l'est moins. Trois interprétations se font concurrence ce matin dans les médias : Bouchard le grand communicateur, Bouchard le négociateur patronal et Bouchard le conciliateur national.

Pas facile de comprendre le rôle qui sera le sien.

Dans un rôle de communicateur, que lui prête la ministre Nathalie Normandeau, Bouchard devra calmer le jeu, se faire rassurant et assainir le débat. Bref, une job de comm. : « [c']est un leader crédible et rassembleur. J’espère que son arrivée permettra d’assainir le débat et de le ramener sur des bases plus rationnelles et objectives. Les choses sont devenues très émotives dans le dossier du gaz de schiste et ça complique les choses, parce qu’il y a une difficulté à créer des ponts pour dialoguer. M. Bouchard viendra apporter une bouffée d’oxygène.»

Comme l'a dit avec justesse mon collègue Steven Guilbeault sur RDI hier, les difficultés de l'industrie sont moins des problèmes de communication que des défectuosités peut-être terminales avec le produit qu'elle essaye de vendre. Difficile de voir comment Lucien Bouchard, tout aussi fort en gueule que son prédécesseur et au style tout aussi paternaliste et autoritaire, réussira mieux là où André Caillé a échoué.

Pour Sylvain Gaudreault, excellent critique en matière de ressources naturelles au Parti Québécois, Bouchard se serait plutôt vu offrir la présidence de l'industrie pour défendre ses intérêts dans le contexte de l'inévitable moratoire qui se profilerait à l'horizon. Si tel est le cas, le choix est excellent, les talents de négociateur « tough » de Lucien Bouchard sont bien connus.

Au tribunal de l'opinion publique, la partie défenderesse vient de changer d'avocat en plein procès pour engager le meilleur plaideur en ville, peu importe son taux horaire. De toute façon, c'est Calgary qui paye.

La troisième thèse, celle de Bouchard le conciliateur national, est celle de... Bouchard lui-même! Comme le souligne Vincent Marissal ce matin, Bouchard aura réussi en une citation dans un communiqué de presse à mieux résumer la situation que Nathalie Normandeau ou Jean Charest en plus d'un an de controverses. Dans sa déclaration, Bouchard se pose en grand conciliateur des intérêts nationaux :

« Je vois la découverte au Québec de volumes importants de gaz naturel comme un atout très important pour notre développement économique et le financement des missions de notre État. En même temps, je suis tout à fait conscient de la nécessité de procéder à ce développement dans le plein respect d’exigences exemplaires du point de vue de l’environnement, de la sécurité publique, de la transparence et de l’acceptabilité sociale. S’impose également la nécessité de faire de ce développement une contribution réelle à l’enrichissement public et non pas seulement privé. J’amorcerai avec diligence avec les membres du conseil d’administration des rencontres intensives pour mettre au point avec eux la démarche responsable qu’ils se sont engagés à suivre, notamment en rapport avec les recommandations à venir du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. J’entends donc remplir mon mandat dans la conciliation des préoccupations et des enjeux de toutes les parties intéressées, mais surtout avec la certitude de devoir travailler dans le meilleur intérêt de notre collectivité. »

En fait, Bouchard fixe l'objectif et le justifie (exploiter les ressources naturelles pour créer de la richesse) et en énonce les balises (environnement, sécurité publique, transparence, acceptabilité sociale). Il attribue les blâmes à mots couverts (mieux assurer les retombées pour le Québec, et non pour les seules entreprises privées) et annonce son intention de concilier les intérêts de tous, au bénéfice des intérêts supérieurs du Québec.

Bref, soit on demande à Lucien Bouchard d'assumer, dans ce dossier, les responsabilités du premier ministre du Québec, ou soit il s'attribue lui-même ce rôle.

Cette position schizophrène ne peut pas tenir longtemps. À moins qu'il n'ait changé beaucoup, Bouchard tient moins du diplomate feutré et conciliateur d'intérêts divergents que du négociateur qui fonctionne à la pression, même si cela donne parfois des résultats spectaculaires, comme lors de la grande corvée nationale du déficit zéro.

Cette fois j'ai plutôt l'impression qu'il attirera toute l'attention sur lui, et tentera d'imposer son point de vue qui ne peut, au final, qu'être celui de l'industrie qui l'engage pour la représenter.

Peu importe qu'on l'enrobe dans de grandes envolées sur l'intérêt supérieur du Québec.

En voulant jouer au premier ministre, Lucien Bouchard attirera la foudre comme un paratonnerre, avec tous les risques que cela comporte.

Jean Charest doit pousser un énorme soupir de soulagement.