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Opinion  •  4 min

Tintin au pays des régions

Publié le 

par :  Hugo Séguin Actu - Tintin au pays des régions

J'ai mangé toute une volée lors de la dernière Conférence nationale sur l'avenir des territoires, grand pow-wow organisé par Solidarité rurale, partenaire d'Équiterre avec lequel nous avons plusieurs atomes crochus.

Contexte : dans un lieu magnifique surplombant le Saint-Maurice, Solidarité rurale du Québec convie près de 300 décideurs de tous les milieux intéressés par la question de l'avenir des territoires, entre autres sur le thème de la réconciliation villes-régions. Les organisateurs rendent public en plénière les résultats d'une grande consultation sur le sujet. Et renvoient tout le monde en ateliers discuter des consensus qui se dégagent. Dans l'atelier, des «personnes-ressources » pour lancer les discussions. Je suis une de ces personnes-ressources, dans un atelier portant sur le thème « Habiter le territoire », avec l'architecte Pierre Thibault. Nous prenons la parole devant 70 personnes, notamment des maires et des représentants de municipalités, assis à de petites tables rondes. Ça se passe à la bonne franquette.

Je suis le premier à parler. Je dis que les grands consensus qui se sont dégagés de la consultation - densification des collectivités, halte à l'étalement urbain, emphase sur les transports collectifs, développement durable, efficacité énergétique - s'inscrivent pile-poil dans les grandes tendances mondiales : recherche de la diminution de la dépendance au pétrole, lutte aux changements climatiques, course au développement des technologies vertes. Citant les données démographiques tirées du document de consultation de Solidarité rurale, je dis que les collectivités qui vont passer au travers, dans des régions qui se dépeuplent inexorablement, sont celles qui vont développer une vision, un projet, une idée emballante et rassembleuse en lien avec ces grandes tendances et qui vont lui donner vie. Parce qu'on habite le territoire aussi dans sa tête, dans la façon qu'on a de le percevoir et de s'imaginer dedans, que je dis.

Je termine. Silence. Pas un seul applaudissement, même poli.

Je passe la parole à Pierre Thibault, qui poursuit sur ma lancée. Les collectivités doivent se donner un rêve, une vision et y travailler, en comprenant clairement les grands enjeux du développement durable et les grandes tendances. Il parle de son expérience sur un comité de travail mis sur pied par le maire Labeaume, à Québec, pour repenser la Capitale pour les prochaines années. Il parle d'urbanisme, d'aménagement et de transport. Il parle des choix que certaines villes ont faits, comme le choix du vélo à Copenhague, où il a habité avec sa petite famille.

Il termine. Silence. Aucun applaudissement.

L'animateur de l'atelier ouvre la période d'échange. Des mains se lèvent.

« Je pensais que j'étais à Solidarité rurale ici. RURALE! », rugit, empourpré, le maire d'un village de la Mauricie. « On ne rêve pas, nous autres, on vit dans le réel. Le RÉEL! ». Le gars est vraiment fâché. Sa pression monte, il est encore plus rouge qu'en partant. « Pis le monsieur Séguin, là, qui veut fermer les régions, comme dans le temps de l'OPDQ! ». Il se retourne vers Pierre Thibault : « Pis l'autre, là, qui nous parle des vélos. Moi, chez nous, on a 75 km carré de territoire avec des côtes. Fait que ses vélos... ».

Un autre se lève et nous engueule, sur le même ton. Puis deux autres.

Ça va pas ben. Les maires se crinquent entre eux, se montrent leurs cicatrices et leurs blessures acquises de leurs combats contre les bureaucrates de Québec et les urbains paternalistes de Montréal. Le gros discours d'aliénation.

Même Hubert Meilleur, maire de Mirabel, dont le « rêve » des 20 dernières années à été de transformer son territoire en grosse banlieue de Montréal, se met de la partie et se drappe dans la ruralité (quel culot, quand même) et réclame plus d'autonomie pour les régions.

Puis, moment de grâce. Intervention de la mairesse de Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie. « Moi, ma municipalité, elle bat tous les records de déstructuration au Québec. Si ça va mal dans les régions, ça va encore plus mal chez nous. » Son ton est clair, direct, combattif. Ça promet. « Moi comme mairesse, ma job, c'est de comprendre les grandes tendances mondiales qu'on nous a présenté tout à l'heure. Si je ne les comprends pas, je ne suis pas à ma place comme mairesse. » Elle continue en parlant de ses efforts pour revitaliser le coeur de sa municipalité, du transport en commun (!) développé dans son coin de région et de l'importance d'avoir une vision et un projet.

Tonnerre d'applaudissements. Y compris par les plus crinqués des maires de tout à l'heure.

Eh ben.

Morale de l'histoire? Je ne sais pas s'il y en a une. Je comprends au moins qu'après avoir enduit les « personnes-ressources » de Montréal et de Québec de goudron et de plumes et les avoir sortis de leur réunion à coups de pied dans le cul, le consensus de la salle semble se faire autour de l'importance de tenir compte des grandes tendances et de développer une vision d'avenir propre à chaque communauté.

Un lecteur attentif de ce billet de blogue aura noté que c'était l'idée de départ que Pierre Thibault et moi voulions faire passer.

Tintin (moi) est sorti pas mal amoché de ce rendez-vous national sur l'avenir des territoires. J'ai fini par finir par me convaincre de ne pas le prendre personnel.

J'ai compris que même animé des meilleurs intentions du monde, un Montréalais part avec 3 prises en partant avant même d'avoir commencé à parler. Cet atelier n'a en rien permis un rapprochement entre l'urbain que je suis et les ruraux présents ce jour-là dans la salle.

Au contraire.

Dommage.

Vraiment.