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Opinion  •  3 min

Le Canada se dépasse de la pire des façons

Amélie Côté

Analyste, Réduction à la source

acote@equiterre.org

Publié le 

Voilà, c’est fait. Le Canada a consommé l’ensemble des ressources naturelles renouvelables que la Terre peut lui fournir en une année pour ne pas puiser dans ses réserves. Sortez les bulles…et jetez-les aux poubelles après en avoir bu une gorgée!

Aujourd’hui, 15 mars, c’est le fameux jour du dépassement du Canada pour l’année 2024. Le pays vivra donc à crédit pour le reste de l’année, presque cinq mois avant le reste de la planète, qui arrivera au même triste résultat le 2 août prochain.

Ça prendrait donc 4,9 planètes pour subvenir aux besoins de la population mondiale si tout le monde consommait comme au Canada. Nous sommes d’ailleurs dans le triste palmarès des cinq pays qui consomment le plus de ressources per capita.

En parallèle, le gaspillage de ressources est hors de contrôle. En 2023, on jetait 2,3 milliards de tonnes d’objets, d’aliments, de matériaux et d’emballages dans le monde. Cette quantité devrait continuer d’augmenter pour atteindre 3,8 milliards de tonnes en 2050.

Résultat? La courte durée de vie des biens et la consommation frénétique mettent une pression exponentielle sur l’environnement. Un rapport publié par l’ONU le 1er mars nous apprenait récemment l’extraction des ressources naturelles est déjà responsable de 55 % de la hausse des émissions de gaz à effet de serre, de 40% de la pollution de l’air, en plus d’être la principale cause de l’accélération des enjeux d’approvisionnement en eau et la disparition d’animaux et de plantes. Selon les projections, cette extraction devrait augmenter de 60% d’ici 2060.

Année après année, les impacts de la surconsommation s'accumulent. Mais à qui cela profite-t-il?

Gaspiller, polluer et s’appauvrir

Car malgré cette extraction, production et consommation débridées, on pourrait croire que nos vies s’en verraient enrichies et bonifiées un peu? Que notre société s’en porterait globalement mieux?

Eh bien non. Notre pouvoir d’achat diminue et l’écart de richesse se creuse entre les plus riches et le commun des mortels. L’augmentation de la consommation n’est donc pas corrélée avec une baisse du coût de la vie ou un meilleur bien être de la population.

Alors qu’une partie grandissante d’entre nous peine à payer pour répondre à ses besoins de base, des entreprises jettent des vêtements neufs, des canettes encore pleines sont lancées dans les conteneurs et des objets invendus, mais totalement fonctionnels, passent au compacteur.

Au même moment, d’autres entreprises qui « créent de la richesse » jettent des quantités astronomiques de nourriture quotidiennement, alors qu’une personne sur dix a recours à une banque alimentaire au Québec.

La réalité, c’est qu’en 2024, il est souvent plus simple et économique pour ces entreprises de détruire et gaspiller que de changer leurs pratiques.

Un système brisé à repenser

Devant ce portrait désolant, on a le devoir de s’intéresser à la racine du problème : notre système de production et de consommation est brisé. Il est déconnecté de la réalité inéluctable des limites physiques de la nature, qui nous nourrit et subvient à nos besoins.

Par exemple, on nous vend la construction d’une usine de batteries pour Hummer électriques, qui nécessite une quantité écoeurante de ressources naturelles à fabriquer, comme étant un jalon de la transition écologique. Obnubilé(e)s par l’arbre de l’empreinte carbone, plusieurs d’entre nous ne font pas le lien direct qu’elle a avec la forêt de notre empreinte matérielle.

Heureusement, partout dans le monde les solutions et les modèles alternatifs émergent en convainquant de plus en plus de gens : l’engouement pour le seconde main tout comme le mouvement pour un droit à la réparation prennent de l’ampleur.

Par exemple, un projet de loi du gouvernement du Québec prévoit entre autres que les fabricants auront l’obligation de rendre accessible les pièces de rechange de leurs produits dans un délai et à un prix raisonnable. On retrouve aussi des ressourceries partout sur le territoire québécois, qui donnent une seconde vie à une quantité astronomique de meubles, de vêtements et d’objets. Les quincailleries Réemploi+, qui ont pignon sur rue dans trois municipalités du Saguenay-Lac-Saint-Jean, performent bien et RÉCO, un centre de rénovation doté d’un inventaire 100 % récupéré, vient d’ouvrir à Montréal. Il y a quelques lueurs d’espoir.

À long terme, avec un peu de temps et de soutien (que nous n’avons toutefois pas vraiment), ces initiatives prendront la place qui leur revient.

Entretemps, la seule façon de freiner le pillage et la destruction mortifère de nos ressources par les plus cupides d’entre-nous, c’est de leur imposer des contraintes réglementaires sévères et ambitieuses.

Il n’y a pas que les limites de notre planète qui sont dépassées, notre modèle économique l’est aussi.

Ce texte d'opinion a initialement été publié dans La Presse