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Opinion  •  11 min

Mettre un prix sur la pollution carbone à travers le Canada – Cours 101 d’un système à deux, trois ou quatre vitesses...

Published on 

par :  (Unpublished) Annie Bérubé

Par Annie Bérubé, directrice des relations gouvernementales d’Équiterre à Ottawa

Le ministre fédéral des Finances Bill Morneau publiait cette semaine une ébauche du projet de loi pour mettre en oeuvre un mécanisme de tarification du carbone à l’échelle nationale à compter de 2019.

Cette proposition de projet de loi octroie essentiellement une année de sursis aux provinces et territoires, par rapport à la proposition initiale du fédéral. Un sursis jugé nécessaire peut-être étant donnée la sensibilité politique entourant l’intrusion du fédéral dans un champ de compétence partagé.

Une fois adopté à la Chambre des communes à Ottawa, ce qui n’est pas chose faite encore, ce projet de loi marquerait la dernière étape d’un long processus qui permettra enfin au fédéral d’imposer un prix sur la pollution carbone à travers le Canada.
Je vous propose donc une revue de cette longue saga politique et une analyse dusystème fédéral proposé.

LA TARIFICATION DU CARBONE – À QUOI ÇA SERT?

La tarification du carbone vise à inciter les entreprises et les particuliers à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Le coût peut être fixé selon une taxe ou un système de plafonnement et d'échange, communément appelé bourse du carbone.

Un prix carbone (prix fixé pour une tonne d’émissions carbone) est essentiel, mais à lui seul insuffisant, pour atteindre nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre.

Rappelons qu’un prix carbone est un outil pour mettre en œuvre le principe du pollueur-payeur, qui exige que les personnes (ou entreprises) qui génèrent de la pollution assument leur part des coûts pour les mesures de prévention, de réduction et de contrôle des GES.

Un prix carbone vise également à instaurer le principe de l’internalisation de tous les coûts, exigeant que le prix d’un bien (dans ce cas-ci: l’énergie et les biens produits à base d’hydrocarbures) reflète tous les coûts que la production de ce bien occasionnent à la société, soit le coût social du carbone (CSC). Nous pouvons déjà constater le coût des sécheresses, des inondations et des conditions météorologiques extrêmes ainsi que ceux des effets de la pollution carbone sur notre santé et sur l’environnement. Le CSC est une façon d’estimer monétairement les dommages causés par les changements climatiques découlant de l’émission d’une tonne supplémentaire de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. Le Canada estime que le coût social du carbone s’élève à 41 $ la tonne, alors que certaines études le chiffrent jusqu’à 167 $ la tonne.

Avec des systèmes de prix carbone entre 10 $ et 35 $ la tonne au Canada, nous sommes donc encore bien loin de récupérer les coûts réels de notre pollution par le carbone. Équiterre a toujours soutenu que le prix proposé était trop bas et continue de revendiquer une augmentation plus rapide du prix du carbone.

SYSTÈMES DE PRIX CARBONE EXISTANTS AU CANADA

Rappelons tout d’abord que plus de 85 % de la population du Canada est déjà assujettie à un prix carbone.

Il y a présentement deux types de systèmes de prix carbone en place au Canada, soit une taxe carbone ou un système de plafonnement et d’échanges :

  • La Colombie-Britannique : La taxe carbone, introduite en 2008, est présentement fixée à 30 $ la tonne et augmentera à 35 $ la tonne en avril 2018. Tous les revenus de la taxe sont retournés aux consommateurs par le gouvernement.
     
  • L’Alberta impose également une taxe carbone à 30 $ la tonne en 2018, mais sous forme de système hybride qui inclut une taxe carbone pour les carburants utilisés en transport et par les ménages. L’Alberta offre toutefois de généreuses exemptions aux grands émetteurs de carbone dans la province, dont le secteur pétrolier, qui seront assujettis à un système ne taxant qu’une portion limitée de leur pollution carbone.

    En conséquence, comme le rapporte l’Institut Pembina, les producteurs de pétrole conventionnel paient en moyenne 1 $ le baril de pétrole, tandis que les producteurs in situ obtiendront des permis d’émissions gratuits en 2018 pour 90 % de leur production. Pour ce qui est des sables bitumineux, le coût de la taxe carbone sera de 22 cents le baril pour la production in situ et de 9 cents le baril pour la production minière de sables bitumineux.

    Notons que le mécanisme fédéral proposé offrira des exemptions semblables aux grands émetteurs de pollution carbone, dont la production d’énergies fossiles. Plutôt que de « taxer » la totalité des émissions de GES de ces grand émetteurs, un « régime de tarification fondé sur le rendement » s'appliquera seulement aux émissions qui dépassent un seuil déterminé.
     
  • Le Québec et l’Ontario ont tous deux un système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE) en place. Le SPEDE met en vente chaque trimestre des unités d’émissions de GES. Ce sont les secteurs de l’industrie et de la production d’électricité qui émettent plus de 25 kt d’équivalent CO2 et les entreprises qui distribuent annuellement 200 litres ou plus de carburants et de combustibles fossiles qui sont visés par ce marché. En effet, ces secteurs doivent compenser leurs émissions de GES en achetant des droits d’émission.

    Le SPEDE du Québec pour sa part, est lié à la bourse carbone de la Californie depuis 2008. Lors du dernier encan de permis entre le Québec et la Californie en novembre 2017, le prix de vente final par unité était de 19,10 $ CA la tonne de carbone, donc plus élevé que le prix plancher proposé. Toutes les unités ont été vendues.

    Depuis 2014, les ventes aux enchères conjointes entre le Québec et la Californie ont généré une somme totale de 2 046 469 137 $ CA de revenus pour le gouvernement du Québec, qui ont été versés au Fonds vert.

    Le SPEDE de l’Ontario est lié au SPEDE de l’État de Californie et du Québec depuis janvier 2018 par l’entremise du Western Climate Initiative, permettant ainsi la vente de permis entre ces trois juridictions. Le 21 février prochain aura lieu la première vente de permis entre le Québec, la Californie et l’Ontario.

L’INTERVENTION DU FÉDÉRAL DANS LA TARIFICATION DE LA POLLUTION CARBONE – UN LONG PROCESSUS

C’est en mai 2016 qu’ont débuté les consultations publiques, auxquelles Équiterre a participé, suivant un document publié par le gouvernement fédéral élaborant les principes de son mécanisme de tarification de la pollution carbone.

Le 3 octobre 2016, le premier ministre annonçait à la Chambre des communes que le fédéral allait imposer un prix carbone pancanadien. L’absence de préavis avant l’annonce de Justin Trudeau, effectuée en parallèle de la conférence des ministres de l’Environnement à Montréal, en avait froissé plusieurs. En réaction, trois provinces — la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador, et la Nouvelle-Écosse— ont quitté la table des négociations. Leur départ trahissait une frustration de certaines provinces quant à l’initiative unilatérale d’Ottawa dans un champ de compétence partagé par les deux ordres de gouvernement. L’approche proposée fut également critiquée par le gouvernement de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

Cette sortie dramatique fut suivie de quelques menaces de recours légaux de la part du premier ministre de la Saskatchewan, sur la constitutionnalité de l’approche fédérale. Menaces légales qui s’avèrent sans conséquences jusqu’à présent, puisque que les experts juridiques en ont confirmé la constitutionnalité.

La validité constitutionnelle du mécanisme fédéral proposé repose principalement sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle taxe fédérale, malgré ce que prétendent certains élus conservateurs. Le gouvernement fédéral a clairement indiqué qu’il allait retourner tous les revenus générés par la tarification carbone dans les provinces où elle sera perçue.

L’approche pancanadienne pour une tarification de la pollution par le carbone, indique que les systèmes de tarification de la pollution par le carbone au Canada devront répondre aux critères ci-dessous pour être équitables et efficaces :

  1. Les systèmes doivent entrer en vigueur en temps opportun pour que les principales sources d’émissions de GES fassent l’objet d’une tarification de la pollution par le carbone dans l’ensemble du Canada en 2018.
     
  2. La tarification de la pollution par le carbone doit être appliquée aux mêmes sources principales de GES partout au pays. Au minimum, la tarification de la pollution par le carbone devrait s’appliquer aux mêmes sources d’émissions de GES que la taxe sur le carbone de la Colombie-Britannique.
     
  3. Les provinces peuvent choisir le type de système qu’elles désirent mettre en œuvre : (i) une taxe directe sur le carbone (ou un système basé sur les prélèvements sur les émissions et le rendement, comme en Alberta), ou (ii) un système de plafonnement et d’échange (comme en Ontario et au Québec).
     
  4. Le système de tarification de la pollution par le carbone doit devenir plus rigoureux avec le temps, donc le prix carbone se doit d’augmenter annuellement.
    Dans le cas des provinces qui adoptent un système explicite fondé sur la tarification, le prix du carbone devrait être initialement établi à un minimum de 10 $/tonne en 2018 et augmenter de 10 $ par année, pour atteindre 50 $/tonne en 2022.
     
  5. Les provinces dotées d’un système de plafonnement et d’échange doivent (i) fixer une cible de réduction des émissions pour 2030 égale ou supérieure à la cible de réduction de 30 % du Canada; et (ii) réduire progressivement les plafonds d’émissions de façon à obtenir des réductions de GES au moins équivalentes aux réductions projetées qui auraient résulté d’une taxe carbone directe.

Clair comme de l’eau de roche? Imaginez si vous êtes en plus une entreprise opérant dans plusieurs provinces canadiennes. Vous devrez vous conformer à de multiples systèmes de tarification carbone.

En décembre 2016, dans le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, les gouvernements provinciaux (sauf la Saskatchewan et le Manitoba), territoriaux et le gouvernement du Canada se sont engagés, selon une entente historique, à collaborer pour trouver les solutions aux changements climatiques, incluant la mise en œuvre d’une tarification carbone pancanadienne uniforme. Rappelons que que la tarification carbone est un engagement important des parties signataires de l’Accord de Paris.

En mai 2017 le fédéral publiait un document technique relatif au « filet de sécurité fédéral » sur la tarification du carbone au Canada. Ce « filet de sécurité » établit les conditions et la manière dont s’appliquera la redevance sur le carbone et le régime de tarification dans les provinces et territoires n’ayant pas mis en œuvre une tarification carbone, ou dont le système ne répond pas aux exigences fédérales. Selon cette proposition, le filet de sécurité fédéral ne devrait pas avoir d’impact sur les SPEDE de l’Ontario et du Québec… pour l’instant.

Ce document technique fut ensuite suivi en août 2017 par d’autres directives concernant le modèle pancanadien de la tarification de la pollution par le carbone.

Finalement, en septembre dernier, le ministre fédéral des Finances et la ministre de l’Environnement et du Changement Climatique envoyait une lettre aux provinces et aux territoires - un ultimatum final. Cet avis inclut des échéanciers en 2018 aux provinces et territoires qui devront indiquer au fédéral quelle option ils choisiront d’implanter et démontrer comment leur système de tarification carbone respecte les exigences du modèle fédéral.

Il faut remarquer que la « menace » de l’imposition d’un prix carbone parle fédéral semble toutefois avoir porté fruit. Les provinces du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont indiqué leurs intentions d’instaurer une tarification carbone et la Colombie-Britannique annonçait l’augmentation de sa taxe carbone à 35 $ la tonne en avril prochain.

Selon une étude réalisée pour Équiterre, les provinces des maritimes auraient tout avantage à lier un système d’échanges et plafonnement à celui du Québec, de l’Ontario et de la Californie. Effectivement, tout comme la bourse carbone génère des milliards de dollars de revenus pour le Québec, des revenus pourraient être générés pour les provinces des maritimes vu les faibles coûts d’atténuation des GES dans ces provinces. Ces revenus pourrait financer l’exploitation du potentiel en énergies renouvelables des Maritimes (dont l’éolien et l’énergie marémotrice) et plusieurs autres investissements dans ces provinces. Les territoires, quant à eux, sembleraient satisfaits de se prévaloir de l’offre du fédéral d’imposer et de gérer la tarification carbone.

Donc les négociations politiques se poursuivront en 2018 puisque les provinces ayant déjà un système de tarification du carbone ou en ayant proposé un récemment, voudront démontrer qu’ils rencontrent les exigences fédérales et éviter l’application du filet de sécurité fédéral.

Selon ces exigences fédérales, il semblerait que le nouveau système de plafonnement et d’échanges récemment proposé par la Nouvelle-Écosse ne passerait pas le test fédéral. Le Manitoba, à moins qu’il n’accepte d’augmenter sa taxe carbone proposée de 25 $ la tonne, ne passerait pas le test non plus à compter de 2020. Il est également possible que le filet de sécurité fédéral doive s’appliquer à certains secteurs en Alberta.

Le prix de vente final de la bourse carbone entre la Californie et le Québec de 19,10 $ CA se devra également d’augmenter afin que le SPEDE du Québec et de l’Ontario passe le test fédéral qui exige un prix carbone minimal de 20 $ la tonne en 2019.

MÉCANISME FÉDÉRAL DE TARIFICATION DE LA POLLUTION CARBONE – UN TEST DE VOLONTÉ POLITIQUE À VENIR

Le plus important changement annoncé par le fédéral est d’accorder maintenant à tous une année de sursis, puisque que le fédéral ne mettra pas en œuvre sa tarification carbone avant 2019, à 20 $ la tonne.

Selon Équiterre, la table est bien mise et les intentions du fédéral sont claires, il faut maintenant passer à l’adoption du projet de loi à la Chambre des communes le plus tôt possible. Sans cet outil légal, qui se devra d’être adopté en 2018, le mécanisme de tarification de la pollution carbone pancanadien demeurera un exercice sur papier.

Nous croyons que le filet de sécurité fédéral est loin d’être parfait et ne fournira pas tout de suite une couverture uniforme de toutes les sources de GES au pays. Effectivement, le mécanisme fédéral offrira une tarification carbone unique aux grands émetteurs de GES (hé oui vous l’avez deviné, dont le secteur du pétrole), qui se verront « taxer » seulement sur une portion de leurs émissions. Cette « tarification carbone sur le rendement », à notre avis, se doit d’être une mesure temporaire et qui augmente en rigueur dans le temps.

Deuxièmement, plusieurs secteurs économiques sont complètement exemptés de la tarification carbone, dont les carburants utilisés lors des opérations agricoles. La production agricole est le troisième plus important secteur en terme d’émissions de GES (12 % des émissions de GES au Canada) et il est grand temps que ce secteur fasse sa part dans la lutte aux changements climatiques.

L’implication du fédéral dans la tarification du carbone est une bonne nouvelle et nous pouvons espérer que ce système, quoique très complexe, puisse assurer que la tarification carbone à l’échelle nationale survive à de potentiels changements de gouvernements lors de prochaines élections provinciales.

C’est seulement en instaurant cette architecture initiale que nous pourrons, par la suite, y ajouter les changements nécessaires afin de vraiment envoyer un signal de prix assez élevé à tous les secteurs économiques, et qu’il devienne plus rentable au Canada d’investir dans la réduction des GES que de payer la tarification carbone.

Enfin, Équiterre tient à rappeler que les mesures fiscales préférentielles (subventions) toujours accordées par le fédéral et les provinces à la production d’énergie fossile, viennent gravement miner l’efficacité de la tarification carbone pancanadienne. Un grand ménage fiscal s’impose en 2018 avant l’imposition de la tarification carbone.

Le fédéral aura-t-il vraiment la volonté politique d’imposer un prix carbone à l’encontre d’un système existant ou proposé dans une province? Cela reste à voir. La Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse s’avèrent être probablement les premiers tests de cette volonté politique fédérale et de l’efficacité du mécanisme proposé.

Consultez le communiqué de presse émis par Équiterre sur le sujet.