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Projet d’expansion du pipeline Trans Mountain - Quand on est juge et partie

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Une version abrégée de cet article de blogue est paru dans le Huff Post Québec le mardi 5 mars 2019

Projet d’expansion du pipeline Trans Mountain - Quand on est juge et partie

Le 22 février dernier, l’Office national de l’énergie (l’ONÉ), a remis son rapport de réexamen au gouvernement du Canada sur le projet d’agrandissement du réseau de pipeline Trans Mountain.

L’ONÉ avait dû refaire ses devoirs puisque la Cour d’appel fédérale, en août dernier, avait annulé les permis de construction de l’expansion du pipeline. La juge avait conclu que : « le processus et les conclusions de l’Office étaient à ce point viciés qu’il n’était pas raisonnable que le gouvernement en conseil se fonde sur les rapports de cet organisme (ONÉ) ». Le gouvernement donna donc 155 jours à l’ONÉ pour refaire ses devoirs. Difficile de comprendre comment un échéancier si court pourrait produire de meilleurs résultats.

Ce jugement fut un coup dur pour le gouvernement du Canada, fier nouveau propriétaire du pipeline existant. Rappelez vous que le Gouvernement du Canada (en d’autres mots vous et moi, les contribuables) achetait en mai dernier le pipeline existant de la compagnie Kinder Morgan pour un prix d’environ de 4,4 milliards $. Ce prix n’incluait pas les coûts de construction qui porteraient la facture totale à plus de 13 milliards $. Ce montant inclut une somme de 500 millions $ pour endosser une lettre de crédit pour satisfaire l’une des conditions de l’ONÉ, qui exigeait que le gouvernement ait les ressources financières nécessaires pour payer en cas de dommages environnementaux. Car oui, c’est maintenant vous et moi qui paieront pour nettoyer les dégâts...

Une nouvelle évaluation, mais sous une ancienne loi...

L’ONÉ conclut dans sa deuxième évaluation que le transport maritime associé au projet serait susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants sur l’épaulard résident du sud, une espèce en péril, ainsi que sur l’utilisation culturelle de la ressource par les Autochtones. L’ONÉ a aussi conclu que les émissions de GES découlant du transport maritime accru seraient vraisemblablement importantes.

Mais attention, à aucun moment l’ONÉ n’a été mandatée d’évaluer les émissions de GES en amont du projet de pipeline, soit l’extraction du pétrole des sables bitumineux en Alberta, ni la contribution des GES en aval - soit une fois ledit pétrole exporté. Notons que le pétrole issu des sables bitumineux en Alberta est l’une des formes d’énergies les plus polluantes sur la planète : il génère jusqu’à 37 % de plus de GES par baril de pétrole que le pétrole brut conventionnel.

Si le gouvernement peut continuer d’ignorer l’impact climatique de tels projets, c’est que l’évaluation de l’ONÉ se fait toujours sous l’ancienne loi d’évaluation environnementale du gouvernement Harper datant de 2012. On prévoit pourtant une évaluation des GES en amont pour les projets qui seront évalués sous le nouveau projet de loi C-69, présentement en otage au Sénat.

Dans son jugement qui annulait les permis de construction de Trans Mountain, la Cour fédérale avait également décrété que le gouvernement du Canada avait failli à ses obligations de consulter adéquatement les peuples Autochtones. Ottawa nomma par la suite un ancien juge du plus haut tribunal au pays, Frank Iacobucci, pour superviser une nouvelle série de consultations avec les communautés Autochtones, qui sont toujours en cours.

Or, comment consulter adéquatement et obtenir un consentement informé lorsque le gouvernement du Canada s’est déjà déclaré publiquement en faveur de ce projet?

Dans son nouveau rapport d’évaluation, l’ONÉ assujettit le projet d’expansion de Trans Mountain à 156 conditions (un copié-collé de sa première approbation) et ajoute 16 recommandations au gouvernement fédéral, dont la réduction des émanations produites par les vaisseaux-citernes.

Mais qui sera l’arbitre du respect de ces conditions et recommandations maintenant que le gouvernement est propriétaire du projet?

Le gouvernement du Canada comme juge et partie

Rappelons qu’à la première évaluation bâclée de l’ONÉ en 2016, l’ONÉ exerçait alors son mandat d’évaluer un projet soumis par un promoteur, à l’époque la compagnie Kinder Morgan. C’est toujours le cabinet fédéral qui a la responsabilité d’approuver ou de rejeter le projet d’expansion Trans Mountain, dont il est maintenant propriétaire. Ce fait change la donne pour plusieurs raisons, notamment le fait que le gouvernement du Canada a un intérêt financier à ce que le projet d’agrandissement aille de l’avant.

Le ministre des Finances a déclaré que le gouvernement n’a pas l’intention de conserver les actifs de Trans Mountain à long terme. Il entend les vendre à une entreprise capable d’assumer les risques commerciaux inhérents au projet et d’achever la construction. Par conséquent, le gouvernement doit maintenir les actifs de Trans Mountain prêts en vue de leur vente, c’est à dire éliminer tout obstacles potentiels à son expansion.

Dans son rapport publié le 31 janvier dernier, le directeur parlementaire du budget à la Chambre des communes a établi que des retards de construction du pipeline (qui sont fort probables étant donné de futurs recours légaux) ainsi que toute augmentation des coûts de construction auront des conséquences négatives sur la valeur actualisée des revenus du projet d’expansion, et donc du prix de vente final que le gouvernement pourrait obtenir pour le projet. Par exemple, dans l’éventualité où la construction serait retardée jusqu’en 2023, le projet d’expansion perdrait près de la moitié de sa valuation financière.

Devant de telles incertitudes, comment le gouvernement pourra-t-il trouver acheteur pour ce projet? Devrons-nous nous en débarasser à rabais et engendrer des pertes significatives sur l’investissement?

En dépit des effets néfastes associés au projet, l’ONÉ recommande au gouvernement du Canada de considérer leur justification dans les circonstances, vu les avantages économiques. Ils mentionnent l’accès à de nouveaux marchés pour le pétrole canadien, la création d’emplois, les dépenses directes engagées au Canada par l’achat des matériaux nécessaires pour le pipeline et les recettes fiscales considérables pour les divers ordres de gouvernement.

Mais comment l’ONÉ a-t-il évalué les soit-disant avantages économiques associés au projet?

Évaluation financière nébuleuse et risques climatiques non-dévoilés

L’ONÉ se base toujours sur l’étude économique contenue dans son évaluation précédente, qui datait de 2015, et qui inclut l’analyse de Muse Stancil. Cette analyse présume que le Canada pourrait collecter des millions de dollars en revenus si le prix du baril de pétrole se maintenait au dessus de 100 dollars le baril, si le dollar canadien se maintenait à parité avec le dollar américain et si il n’y avait pas d’autres nouveaux oléoducs construits au Canada pour acheminer le pétrole de l’Alberta vers des marchés d’exportation.

Aucune de ses hypothèses ne s'avère vraie aujourd’hui.

Le baril de pétrole transige présentement à 55 dollars, le dollar canadien se situe à 0,76 $ US et deux nouveaux oléoducs furent approuvé (ligne Trois de Endbrige et l’oléoduc Keystone) et augmenteront la capacité de transport du pétrole issu de l’Alberta.

On s’attendait à ce que le ministre des Finances Bill Morneau mette à jour ces scénarios et nous éclaire sur le projet. Or encore là, les informations manquent sur la transaction financière, les risques et les bénéfices financiers du projet. L’énoncé économique de l’automne fait état de bénéfices de 70 millions de dollars générés par le pipeline existant, mais excluait les coûts d’intérêts, d’impôts, de dépréciation et l’amortissement.

Or le directeur parlementaire du budget soulignait que les prévisions de revenus du gouvernement du Canada associés à Trans Mountain sont fondées sur le respect des contrats avec les expéditeurs. Les expéditeurs sont tenus d’expédier le volume de pétrole qu’ils se sont engagés à expédier, à défaut de quoi ils doivent payer pour la capacité non utilisée. Les documents de l’ONÉ précisent que les expéditeurs ont le droit de mettre un terme à leur contrat si les coûts de construction dépassent un certain montant prévu. Les coûts de construction du projet sont maintenant estimés à 9,3 milliards de dollars et ne cessent d’augmenter, et risquent fort de dépasser le seuil auquel les expéditeurs pourront mettre un terme à leur contrat.

Les promesses de revenus que fait miroiter le ministre des Finances aux contribuables ne semblent pas supportées par des analyses économiques rigoureuses courantes des risques financiers du projet, ni du marché global du pétrole.

Trans Mountain ou l’incohérence de la transition énergétique canadienne

Le premier mantra du Gouvernement du Canada est que l’environnement et l’économie vont de pair. Dans le cas du projet Trans Mountain, il semble clair que des retombées économiques à court terme auraient prévalence sur la survie des épaulards, l’écosystème marin de la côte Ouest, la protection du climat et les droits des peuples Autochtones.

Le deuxième mantra du gouvernement est que la transition énergétique n’aura pas lieu du jour au lendemain. Dans le cas du projet Trans Mountain, la valeur actualisée des revenus est prévue sur un échéancier de quarante ans. Le Canada continuerait donc d’exporter une des formes d’énergie les plus intenses en carbone au monde jusqu’en 2061. Selon le dernier rapport du GIEC, nous avons douze ans pour réduire les émissions nettes de CO2 de 45 % sous les niveaux de 2010 pour éviter les pires catastrophes liées aux changements climatiques. Cette forme d’énergie n’aura donc plus sa place, et ce bien avant 2061!

À l’aube du dernier budget fédéral du mandat du gouvernement Trudeau, ne méritons nous pas, en tant qu’investisseurs et propriétaires, une reddition de comptes complète des risques financiers et climatiques associés à l’achat du pipeline Trans Mountain et de son projet d’expansion?