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Opinion  •  4 min

Pourquoi les mots sont-ils si importants dans les négociations climatiques internationales?

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La 28e Conférence des Parties (COP28) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques tire à sa fin à Dubaï. Arrivera-t-on enfin à un accord historique sur la sortie des énergies fossiles?

Alors que les personnes toujours sur place retiennent leur souffle et que la société civile, dont Équiterre fait partie, continue à pousser le Canada à opter pour le texte le plus ambitieux, qu’est-ce qui pose problème? Notre analyste Andréanne vous résume les principaux enjeux entourant le difficile choix des mots liés à la transition énergétique que les pays doivent faire pour voir atterrir un accord au terme d’une COP.

Parler des énergies fossiles ou de leurs émissions?

La COP28 pourrait passer à l’histoire comme étant la première dont le texte final nomme réellement et complètement le problème au cœur de la crise climatique : les énergies fossiles, soit le pétrole, le gaz et le charbon. Une première tension retrouvée à la COP28 tourne donc autour de l’idée de réduire « les énergies fossiles » ou « les émissions des énergies fossiles ».

Du point de vue du droit international, la deuxième option est beaucoup plus faible, parce qu’elle ouvre la porte à continuer de produire et consommer du pétrole et du gaz si leurs émissions sont compensées ou captées.

Pour Équiterre, il est impératif de suivre la science qui est sans équivoque : si l’on espère maintenir le réchauffement climatique sous la barre de 1,5 degré, il faut absolument laisser les énergies fossiles dans le sol dès aujourd’hui. On fait donc pression sur le Canada pour qu’il encourage l’adoption d’un texte qui place les énergies fossiles - et non pas leurs émissions - comme ce qu’il faut laisser derrière.

Les éliminer ou les réduire progressivement?

Qu’il soit question des énergies fossiles ou simplement de leurs émissions, le charbon a fait l’objet d’un langage clair sur la nécessité de s’en débarrasser lors de la COP26. L’attention est maintenant tournée sur le pétrole et le gaz. Or, de réelles tensions existent entre les pays qui produisent ces énergies fossiles, qui ne veulent pas s’engager à mettre fin à leur exploitation, et ceux qui sont déjà aux prises avec les pires effets de la crise climatique : inondations, submersion, sécheresses, etc.

Devoir ou pouvoir?

En ce moment, on se questionne par rapport à la force prescriptive du vocabulaire utilisé, alors que la plus récente version du texte d’accord proposé par la COP28 met sur la table un menu d’options visant la transition énergétique duquel les pays peuvent piger. En effet, le dernier texte sorti en date du 12 décembre à midi, indique qu’ils « peuvent » passer à l’action en choisissant parmi la liste.

Utiliser le terme « pouvoir », c’est un peu comme si un parent en garde partagée disait à l’autre parent qui venait de déposer son enfant qu’il « peut » nourrir son enfant, mais qu’il n’est pas tenu de le faire!

Équiterre cherche donc plutôt à ce que les mots retenus dans le texte final ne laissent pas de place aux « peut-être » en ce qui concerne la nécessaire transition énergétique des pays. Des mots comme « doivent » doivent donc être privilégiés.

Savez-vous ce qu’est un « Majlis »?

Signifiant « conseil » ou « assemblée », un « Majlis » sert traditionnellement de plateforme de débats, de résolution des conflits et de partage d'informations. Au milieu de la deuxième semaine de la COP28, cette nouvelle approche a été utilisée par la présidence pour tenter d’atteindre le consensus sur certains éléments épineux des négociations. Les ministres ont ainsi été invités à s'asseoir en cercle et à avoir une « conversation honnête et ouverte » sur les enjeux de négociation.

Avec ou sans dispositif d’atténuation?

Juxtaposé aux mots « émissions des énergies fossiles » (unabated fossil fuel emissions) dans les textes de négociation, le terme « unabated » est controversé dans l’espace onusien. Traduite en français par « sans dispositif d’atténuation », cette expression implique que certaines émissions d’énergies fossiles peuvent être minimisées ou compensées par des mesures technologiques.

Bien sûr ce type de technologies est mis de l’avant par les pétrolières et les gazières, mais n’a pas fait ses preuves. Pensons par exemple à la capture et au stockage de carbone qu’Équiterre classe parmi les distractions dangereuses, puisqu’elles laissent miroiter l’idée que la production d’énergies fossiles pourrait se poursuivre, voire même croître, à moyen et à long terme.

Les compagnies pétrolières et gazières canadiennes défendent ces dangereuses distractions de la transition hors des énergies fossiles. C’est pourquoi il faut plutôt les réglementer de manière à les forcer à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) comme le gouvernement fédéral s’est engagé à le faire .

Quel échéancier?

Une autre question délicate est l’inclusion ou non de termes proposant un échéancier clair quant à l’élimination des énergies fossiles. Si l’on met une année dans le texte, celle-ci doit refléter ce que la science nous dit.

Les pays développés comme le Canada doivent atteindre la carboneutralité au plus tard en 2040 et les pays en développement d’ici 2050 pour espérer freiner l’emballement climatique. Le Groupe intergouvernemental d’expert(e)s sur l’évolution du climat (GIEC) indique aussi que la planète doit réduire ses émissions de GES de 43 % d’ici 2030 par rapport à 2019.

Dans tous les cas, l’inclusion d’une échéance est contentieuse, car elle a énormément d’implications politiques et économiques pour bon nombre de pays. Pour les pays qui dépendent des revenus liés au pétrole ou au gaz, le choix d’une année implique que, d’ici là, ils doivent planifier la transition juste de leurs communautés et de leurs travailleurs et travailleuses.

Le Canada fait justement partie de ces pétro-États, appelés à repenser leurs systèmes énergétiques et leurs secteurs d’emploi fortement dépendants de l’exploitation des ressources naturelles.

Quelle ambition pour les énergies renouvelables?

Bien que le cœur du problème tourne autour de ce qu’il faut laisser derrière, les tensions touchent aussi aux objectifs qu’on se donne pour y arriver. En cette COP28, il est grand temps qu’on se fixe les cibles collectives de tripler la capacité d’énergie renouvelable et de doubler le taux annuel moyen de l’efficacité énergétique d’ici 2030. Ce serait une avancée motivante et complémentaire à la sortie des énergies fossiles!